•  « Ampi » et « Sodi »— À Castellare, les parcelles campi sont assez faciles à cultiver, les sodi plus difficiles mais aussi meilleures. La dégustation organisée est une verticale de I Sodi di San Niccolò — le meilleur terroir du domaine, planté de sangioveto, cépage autochtone issu de sangiovese, et de malvasia nera —, un vin « playboy » déjà primé au top 10 des rouges italiens par ce magazine en 1984. Bien que les pesticides et engrais y soient utilisés avec parcimonie, le domaine ne revendique pas de qualification bio : sur les étiquettes figure simplement un oiseau, différent à chaque millésime, rappelant sa présence abondante dans les parages — certaines espèces sont revenues, d’autres s’y installent jusqu’alors peu connues, c’est bon signe. Castellare fait d’ailleurs un Poggio ai merli ou « clos des merles ».

(4) Des millésimes d’I Sodi dégustés — 2004 (de garde), 2003 (à boire), 2002 (puissant, fruit bien persistant, à garder), 1999 (tannique, peut-être la plus belle expression de ce vin en ce moment), 2000 (proche du précédent en moins puissant) et 2001 —, c’est le 2001 qui sort en tête, bon maintenant, produit aussi en magnum, dont se fournit la journaliste hollandaise Janna Rijpma, qu’elle offrira au groupe à l’Enoteca de Sienne le soir même.

•    Déjeuner comme à la maison— Près de Radda in Chianti où l’on parvient par des routes en lacets à travers des clairières moussues entourées de petits arbres tordus genre chênes truffiers, existe une charmante auberge-chambre d’hôtes, Podere Terreno « alla Via della Volpaia », tenu par Marie-Sylvie (française), Roberto et leur fils Pier Francesco.                                                                  C’est le fils qui s’occupe du vin, 6 ha et 25.000 b/an, dont 50% à l’export. Il nous sort deux classico 2004, l’un 90% SGV et 10% canaiolo, l’autre 90% SGV et 10% merlot qui s’allient avec la Ribollita, soupe de légumes « re-bouillis » comme son nom l’indique, genre garbure, servie tiède avec un peu d’huile de basilic.

 

Puis, la toute dernière riserva 2001 Vieilles Vignes, élevé en barriques de 600 l, dont la couleur a passé : « Nos voisins et amis d’en face (l’illustre Montevertine) le trouvent très bon ! » dit Pier Francesco. Arrivent les inévitables pâtes « cuites al dente juste comme il faut » précise Filippo l’organisateur avec sa société Fufluns de la vaste libation toscane —, accompagnées de leur riserva 1997 (il en reste 48 b), du 1995 non filtré (trouble), et du 1991 assemblé avec 15% de vignes de blanc (depuis 2000, le Chianti ne tolère plus que des cépages rouges). Sur les fromages, Pier Francisco sert un « vieux » 1988 auquel il reste un peu d’équilibre alcoolique. Après, sur le dessert, le vin santo. Puis après le café, leur vinaigre, délicieux.

Cet exercice simple et familier de bonheur domestique, exprimé par la joie d’accueillir et, de la part des clients, par celle de partager, n’a pas attendu d’être qualifié d’œnotourisme pour exister. Le site de Podere Terreno dit : « on mange tous ensemble autour d’une longue table de réfectoire, en écoutant de vieilles légendes étrusques, avec de bonnes bouteilles et fatalement on devient amis ! » C’est vrai.

(5) Ce clos des merles m’a fait penser au titre de l’extraordinaire livre de Carlo Emilio Gadda, L’affreux pastis de la rue des merles, farce policière épique, grave, presque tragique, dans la Rome des années 20. Les fausses pistes, les digressions et le mépris du fascisme et des pratiques et habitudes sociales qui en ont favorisé l’ascension, le mélange de dialecte et d’argot jusqu’à la parodie, tout déconcerte et tout est saveur comme dans un Brunello et/ou un Super Toscan. Par sa stupéfiante virtuosité, on peut rapprocher Gadda de Rabelais, Céline ou Joyce.

Quer Pasticciaccio brutto de Via Merulana, 1957. En traduction française (1963, édité chez Points Seuil)