DE LA LONDE-LES-MAURES À BANDOL (2/6)
Après une excursion mi-octobre à La Londe-les-Maures pendant deux jours , nous avons poursuivi notre visite sur le territoire de Bandol. Ce voyage-dégustation avait pour but de mieux connaître les rouges et les blancs de cette partie de Provence, dont la production et la réputation se trouvent souvent occultée par celles des rosés devenus carrément envahissants.
Relisons ce qu’écrivait le journaliste David Cobbold en 2001 : L’âme du vin de Bandol contient toute la force d’un décor magnifique. Grâce aux efforts d’une poignée de vignerons visionnaires, le meilleur de la production s’est concentré sur de grands vins rouges de garde, laissant les rosés aux estivants. Le cépage mourvèdre d’origine espagnole en est la marque, qui opère dans ce climat privilégié une osmose parfaite, arrivant à maturité sans perdre son caractère droit, gage d’une grande capacité de vieillissement : en cela les meilleurs Bandol n’ont rien à envier aux Bordeaux ou Bourgogne (Bandol, collection « Autour du vin », Flammarion).
L’AOC Bandol date de 1941, renforcée par le décret de 1989 instituant le mourvèdre cépage principal à hauteur d’au moins 50% dans les rouges, les autres cépages étant le cinsault et le grenache séparés ou ensemble; et le carignan et la syrah au maximum à 10% chacun ou 15% ensemble.
Le vignoble comprend 53 domaines et 3 coopératives répartis sur 8 communes* et 1 300 ha. Entre mer et collines rocheuses couvertes de pins et de chênes liège protégeant la vigne des vents froids, sur des sols abrupts et caillouteux de calcaire, étagés au fil du temps en restanques**. Le climat est de type marin avec des brouillards saisonniers et peu de pluie (650 ml/an). Les vignes en coteaux font face à la mer et leur ensoleillement atteint
3 000 h/an. L’ensemble climatique et topographique a motivé l’expression « Bandol béni des dieux. »
* Outre Bandol: Sanary-sur-mer, Ste-Anne du Castellet, La Cadière d’Azur, Le Beausset, St-Cyr-sur-mer, Ste-Anne d’Evenos, Ollioules.
** ou terrasses, soutenues par des murs en pierres sèches pour limiter l’érosion et le ruissellement des pluies hivernales tout en ménageant l’infiltration de l’eau. Exposés sud, les murs de pierre restituent pendant la nuit la chaleur emmagasinée dans la journée, créant de véritables « micro-climats » sur chaque restanque.
DIMANCHE 14.10.18 9h30 —
DOMAINE DUPUY DE LÔME à ÉVENOS
Brusquement, vous quittez la route traversant le village haut perché d’Évenos pour un raidillon caillouteux, qui grimpe vers un cirque ceint d’une haute falaise des Maures d’un gris vieux, si vieux (à gauche). On se dit qu’en ce lieu sauvage, presque inhospitalier, ne peuvent naître que des vins de caractère. Une allée blanche bordée d’ormes de Russie (à droite) conduit à l’habitation où la directrice de l’exploitation réside à l’année.
Laurence Mignard (à gauche) est la directrice d’exploitation du domaine, restructuré à partir de 1998 par Benoît Cossé et Geoffroy Pérouse, descendants de l’ingénieur maritime Dupuy de Lôme qui l’avait acquis en 1907 et depuis laissé plus ou moins à l’abandon.
C’est après des études en sciences humaines qu’elle a finalement choisi l’œnologie, diplômée il y a vingt ans et stagiaire au château Pibarnon (où elle a tout appris) avant d’exercer en vallée du Rhône, puis sur Bandol, à Bunan.
Le domaine couvre 13 ha dont 11,5 en AOC Bandol sur un terroir de calcaire, silice et grès, exposé plein nord en pente et en restanques.
Le vignoble « naturel » converti en bio il a cinq ans, n’a connu ni désherbants ni pesticides. Il produit 1/3 de rouge (mourvèdre à 80% le reste cinsault et grenache), du rosé à hauteur de 60% (on est bien à Bandol !), et le reste en blanc (clairette, rolle, ugni blanc) « au goût atypique, minéral et très frais » — dommage il n’en reste plus, les propriétaires devraient produire plus. 15 €/b.
DÉGUSTATION DES ROUGES :
-2014 :
90% mourvèdre, 10% grenache. Nez de violette. En bouche, les tannins sont présents mais sans astringence. Du volume. Finale longue. 19 €/b.
-2015 :
Amplitude, mourvèdre bien présent. Notes de chocolat. Semble prêt à boire. 17 €/b.
-2015 Cuvée les Grès.
Provient d’un terroir entièrement de grès. Minéral et épicé. Complexe. Un peu austère. Plus maigre et plus long que le précédent. Capacité de grande garde. C’est celui-là qui exprime le mieux l’atmosphère si particulière du lieu. 27 €/b.
Avant de nous séparer, Laurence Mignard confie qu’elle veut « connaître et maîtriser ce qui rentre en chai, sans aller chercher ce qui n’est pas naturellement dans le vin, comme les tannins des pépins par exemple. » Et qu’elle s’efforce d’allonger les temps de macération et de vinification sans pigeage ou délestage pour atteindre encore plus d’expression et de finesse.
Notre impression est tout à fait positive : sur un terroir relativement inhabituel pour l’appellation, nous avons là des vins délicats, fins, racés, au niveau des plus grands de l’AOC, à un prix raisonnable pour Bandol.
11h00 — CHÂTEAU CANADEL
au PLAN DU CASTELLET
Lorsque Jacques et Caroline de Châteauvieux ont acheté ce domaine de 15 ha il y a 10 ans, il avait tout de la belle endormie comme le rappelle Vianney Benoîst qui avec son épouse Caroline (de Châteauvieux) (à gauche) l’a repris et entièrement rebâti pour produire un premier millésime en 2014. Tout ici est nouveau et neuf, Canadel est en fait un nouveau domaine de Bandol.
Le vignoble qui compte 98 restanques sur un fort dénivelé de 250 m, est planté à 60% en mourvèdre, 25% en cinsault, 10% en grenache avec un peu de syrah, et 5% en cépages blancs — clairette, ugni blanc et rolle. Avec autant de restanques (ci-dessous) « il faut vraiment chercher la pertinence d’un rang à l’autre » remarque Vianney Benoîst qui nous reçoit un dimanche matin avec beaucoup de courtoisie.
Le rosé est produit à hauteur de 60%, le blanc et le rouge à 20% chacun. « Pas besoin de faire de pigeages en cuve béton (on y revient), seulement des remontages assez fréquents. » Les vins sont élevés 18 mois en foudre, à l’exception de la cuvée Canatera (vieux pieds de mourvèdre) élevée an jarres.
DÉGUSTATION
Rosé 2017 : mourvèdre à 50%, cinsault à 40, grenache à 10 : mais… c’est du vin ! « Se méfier des rosés pâles, quand c’est bon on continue la macération, voyez la palette de couleurs de nos rosés » (photo ci-dessous).
Rosé 2014 : plus vineux, nez de rose fanée, fenouil.
Rosé 2015 : la synthèse des deux premiers. « Le rosé prend de l’ampleur après un an de bouteille.«
Bandol Rouge 2014. Un peu salé. Du fruit. « Il ira bien avec un brie de Meaux« . 23 €/b
Bandol Rouge 2015. 73% mourvèdre, 20% cinsault, 5% Grenache, 2% Syrah. Vin solaire, structuré. Des épices, de la chaleur. Sera prêt en 2020. 23 €/b
Altum 2015 . Vin de hauteur comme son nom l’indique, et aussi de largeur et de profondeur. Les vignes ont 40 ans. Un Super Bandol. 39 €/b
Canatera 2015. Micro-cuvée expérimentale (550 b), vinifiée et élevée en jarres d’argile de Toscane (photo ci-dessous). Après fermentation un mois, les jarres sont fermées hermétiquement et les peaux restent au contact du vin pendant 5-6 mois. Décuvage au printemps, mise début de l’été, sans filtration ni sulfites.
Au nez comme en bouche, arômes de griotte, de cacao, réglisse, eucalyptus. Comme une impression de porto un poil chocolaté. La bouteille est ouverte depuis 5 jours : c’est un vin nature ! On ne sait pas s’il a de la garde, mystère. Prix NC.
Tout semble réussir à Canadel — d’excellentes notations des ténors de la presse professionnelle française et internationale *, une installation ultra fonctionnelle dans un environnement de rêve, une jolie demeure, une famille sympathique et accueillante, un vignoble en pleine forme qui passe en bio, un site web du tonnerre (la danse au balai des fillettes dans le chai !), des commandes qui suivent et surtout, surtout, de la qualité autant en rosé (eh oui, comme aux Bormettes, c’est du vin) qu’en rouge — parmi les meilleurs dégustés jusqu’ici.
Notre petit groupe Mtonvin (ci-dessus) vous dit : continuez!
* Canadel fait son entrée dans le TOP 100 producteurs du Guide Bettane+ Desseauve 2019, et la cuvée Altum 2015 obtient 17,5/20, la meilleure note des Bandol et des rouges de Provence en général.
13h30 — RESTAURANT LE REGAIN
à LA CADIÈRE D’AZUR
Une fois n’est pas coutume, parlons d’un déjeuner, celui au restaurant Le Regain (à gauche, l’entrée) dont le nom évoque l’un des plus purs Giono, dans le petit village fortifié de La Cadière d’Azur juché en face du Castellet, sur une colline d’où on peut apercevoir la Sainte-Baume.
Nous sommes arrivés avec 45′ minutes de retard (il fallait grimper jusqu’au village), pas un mot déplacé, avons demandé à nous installer sur la petite terrasse ensoleillée (à droite) de l’autre côté de la ruelle centrale (milieu), aucun problème on vous arrange ça tout de suite, et pour le menu ? On vous conseille la poitrine de porc de 36h, c’est notre spécialité. D’accord, avec un Blanc-Grégoire rouge 2017 (de la commune).
Nous sommes servis dans les dix minutes, cette poitrine de porc (3ème ligne) nous fond dans la bouche, c’est une tuerie.
Nous passons un simple moment de gastronomie (c’en est), de tout le séjour sans doute le meilleur.
Le Blanc-Grégoire s’est vite ouvert (9 € à la propriété).
Le bonheur d’être ici maintenant se lit sur nos visages.
Les déserteurs auraient du être là avec nous.
15h30 — DOMAINE DES TROIS FILLES
à LA CADIÈRE D’AZUR
Sur les encouragements d’un article du n° 127 du bimestriel Le Rouge et le Blanc dédié à Bandol, nous sommes passés au Domaine des Trois Filles. Ce sont les trois filles Arlon dont la plus jeune est encore en BTS de viticulture (ci-dessous à droite), la mère, Ghislaine, chauffant sa place en attendant. Elles vont partager la tâche de développer ce domaine de 9 ha dont 5,5 en Bandol, en visant les 12 ou 15 à terme.
Car les trois familles prévoient d’en vivre, y compris les parents qui ont fait les investissements dans le chai et les installations. Le père qui avait hérité du vignoble travaillait aux chantiers navals de La Ciotat et taillait juste le vigne avec sa fille aînée Audrey (au centre), celle qui a pris la direction des opérations après avoir travaillé dans le bordelais et au Chili.
La famille s’entend bien et les trois filles ont du courage et des idées. Elles vont passer en bio et veulent elles aussi, augmenter la part des rouges pour l’instant de 30% (rosé à 70%). Nous avons discuté avec la cadette, Léonie (à gauche et ci-dessous à droite), qui a rejoint le trio récemment et nous a fait déguster quelques-uns des vins de leur domaine.
On retiendra le 2014 en rouge qui a de la matière et du fruit noir (myrtille), mais peut-être comme le remarque le journaliste du R&B, « manque encore de maturité, sans doute un peu amer en finale. »
¡ Suerte chicas !
17h — CHÂTEAU DE PIBARNON
à LA CADIÈRE D’AZUR
C’est dimanche, le château est fermé et en montant le chemin escarpé et sinueux de la croix des signaux, Etienne et moi savons que nous trouverons porte close, mais nous y allons quand même rien que pour la vue
Pibarnon est situé à 300 m d’altitude devant un amphithéâtre naturel descendant sur la mer, c’est l’un des plus beaux paysages viticoles au monde :
Le domaine d’une soixantaine d’hectares s’étend sur un très beau terroir de calcaire issu du Trias mélangé à des marnes bleues exceptionnelles. Il est conduit par Eric de Saint-Victor qui l’a hérité de ses parents, qui eux-mêmes l’avaient acquis il y a 30 ans fascinés par le lieu. La conversion bio est en cours.
Suivez la superbe visite proposée par le château.
Les vins de Pibarnon, que nous n’avons donc pas goûtés, classés parmi les meilleurs de Bandol, sont réputés pour leur finesse et leur précision, et aussi pour leur capacité de garde tout en étant buvables jeunes et évoluant bien sur la durée, l’idéal. De 21 à 25 €/b.
PROCHAINE ÉTAPE À BANDOL :
TOUR DE BON, TERREBRUNE et… TEMPIER