bardawil-6Je ne pense pas que Nossiter soit allé au bout de la critique qu’il avait en tête et ce regard par trop anecdotique me laisse sur ma faim, pour ne pas dire ma soif. Mais ces  défauts que je lui trouve — est-ce à tort ? — expliquent sans doute son succès public et médiatique. Nous sommes à l’époque des rasoirs jetables et l’on n’attend plus d’un film ou d’un livre qu’il s’impose avec le temps, qu’on ne leur accorde plus. Aux vins non plus, à la réflexion.

Le travers qui me gêne davantage et dans lequel je n’aurais pas voulu tomber, c’est que l’auteur de Mondovino promène sur le monde du vin un miroir où il se reflète lui-même à tout instant. Les grands documentaristes — Flaherty, Leacock, Depardon jusqu’à un certain point — s’effacent derrière leur sujet, mais Je dis cela sans connaître Nossiter, et je prendrais sans doute plaisir à bavarder avec lui.

Plutôt qu’un miroir, j’ai tenu à ce que ce livre Promesse du vin soit une vitre la plus propre possible promenée sur ces hommes, leurs vignes et leurs vins. Je me suis contenté d’en dessiner le cadre, et de retranscrire le parler propre de chacun, retrouvant leur voix, leurs mots, leur élocution, les révélant souvent à eux-mêmes. Il s’agit d’un « écrit-parler », un peu à la façon du « mentir-vrai » d’Aragon.

Pour en revenir à mon projet de film, je ferais volontiers, dans l’esprit du livre, un documentaire sur une famille de vignerons dont j’aimerais partager la vie et le travail au fil des saisons : faire avec un ce que j’ai fait avec les quatorze. Ayant dû, pour des raisons de place, sacrifier six portraits dont celui d’un Bourguignon, il serait normal que ce soit en Bourgogne. Le vignoble bourguignon mériterait aussi à lui tout seul, un livre réunissant une quinzaine de portraits, sur le modèle de Une promesse de vin. Avis aux éditeurs et bien sûr aux producteurs qui fréquentent <mtonvin.net>.

3 — Vous faites voisiner vos interviews de vignerons avec des recettes de cuisine. Le livre de recettes n’est-il pas devenu un genre difficile depuis qu’on trouve sur l’Internet à peu près tout ce qu’on peut imaginer, et gratuitement ?
C’est la raison pour laquelle, plutôt que de retomber dans les sempiternels conseils et recettes sur l’alliance idéale des mets et des vins, j’ai voulu rappeler que la table est la véritable finalité du terroir et — pour peu qu’on oublie l’ivresse et le besoin de reconnaissance sociale — la raison d’être unique du vin. Préférant laisser la dégustation aux professionnels en tous genres qui s’en servent avec raison, je ne trouve rien de plus beau pour un vin si prestigieux soit-il que de prétendre à n’être qu’un « vin de table » ?

Dernier point, plus j’y pense et plus je crois que cette Promesse de vin parle d’une sorte d’alchimie. Et la cuisine, avec ses fourneaux et ses ingrédients, me semble faire aussi partie de ce processus destiné à transformer non seulement la matière mais aussi et surtout l’homme qui opère cette transformation. Ce « travail » plus ou moins conscient, ce mariage mystérieux du minéral et du vivant qui passe par la décomposition et la fermentation, me semble lié depuis toujours à l’élaboration du plus modeste des vin. C’est probablement, n’en déplaise aux esprits plus terre à terre que le mien, l’un des sujets si ce n’est le sujet du livre.

PS On peut avoir, jusque dans les vignes, l’esprit d’escalier, pour ne pas dire d’espalier. Et c’est aujourd’hui que je me demande dans quelle mesure on ne pourrait pas rapprocher la notion de terroir de celle du Qi (prononcer tchi), ce « Grand Tout », cet élan vital que les acupuncteurs et la médecine chinoise traditionnelle font passer dans l’univers et dans chaque être. Il n’est peut-être pas trop tard pour interroger les chercheurs de l’INRA.

Propos recueillis le 13.01.09