BARTHES SUR LE VIN
D’ après FRANCE CULTURE
Les Nouveaux Chemins de la connaissance
Dans son analyse de « La Physiologie du goût » de Brillat-Savarin, Roland Barthes consacre une page au vin, qu’il appelle l’anti drogue.
Court entretien entre Raphaël Enthoven et Eric Marty.
Raphaël Enthoven — Baudelaire reproche de mal parler du vin à Brillat-Savarin, qui le voit comme élément central du repas, l’aliment de la conversation, alors qu’il est pour Baudelaire source de joie et de mélancolie, et une possibilité de se transporter hors de soi-même.
Eric Marty — Baudelaire prend le vin comme une drogue. Pour Barthes au contraire, le vin ne peut pas être un plaisir violent. Plus que le bourgogne ou le vin de Provence, le vin de Barthes c’est le bordeaux, qui a une épaisseur et une consistance proches de l’aliment en effet.
Foucault n’aimait que les jouissances fortes : « je ne suis pas un bon compagnon pour les autres » reconnaissait-il, du fait de son incapacité à jouir de plaisirs moyens.
À l’inverse, Roland Barthes se satisfait d’une jouissance modérée, maîtrisée — maintenir le plaisir à distance pour ne pas se laisser consommer par lui —, avec des échelonnements très complexes. La consommation du vin a pour lui une dimension hédoniste, épicurienne, tout à l’opposé d’une drogue. En échauffant la chair et les sens, le plaisir accroît la sensibilité à apprécier, et à comprendre.
R. E. — Son plaisir du vin n’est-il pas de l’ordre de l’attention, une attention extrême, qui est celle de l’œnologue?
E. M. — Barthes est un observateur à la fois euphorique et lucide. Sa vision du plaisir est mobilisation des sens, dérive, perversion. Mais le goût est support d’une éthique reposant sur l’exactitude et le discernement. Il n’y a pas d’opposition à jouir et à décrypter la jouissance, dans sa complexité et ses nuances. La conscience est toujours là.