Présenté au dernier salon Grand Tasting de Bettane+Desseauve au Carrousel du Louvre à Paris il y a deux mois, le Vin de Constance est un liquoreux, soyeux presque, produit depuis plus de trois siècles dans la province du Cap en Afrique du Sud. Contenu dans le même flacon qu’au temps jadis, ce vin aussi mythique que méconnu a inspiré les plus grands écrivains du XVIIIème et du XIXème. Il provient d’un des cépages les plus anciens, le muscat de Frontignan (« blanc à petits grains »). Après un long sommeil au XXème siècle, il a retrouvé sa splendeur d’antan et on le considère aujourd’hui comme l’un des plus prestigieux vins du monde. Commençons par la dégustation

Les serveurs s’affairent en tous sens dans cette salle dont les cloisons de tissu laissent passer les bruits des haut-parleurs des dégustations qui se déroulent à côté, qu’on appelle « master class », c’est plus Sean-Sean *. Et si elle n’est pas master, elle est tout à fait classe cette dégustation animée par le journaliste Olivier Borneuf en présence du DG du Domaine Klein Constantia, le Suédois Hans Ästrom, et du jeune Clément Jolivet, venu de Sancerre, on va nous expliquer pourquoi.

De gauche à droite : Olivier Bourneuf, Hans Astrom, Clément Jolivet

Les 4 verres sont sur la table des dégustateurs, une bonne cinquantaine de happy few, qui ont payé 45 €. Ästrom contrôle l’estrade, parle un très bon français, rapide, convaincant, il maîtrise le story telling : « ce vin a plus de trois siècles d’existence et nous travaillons pour dans cent ans. » Le vignoble Constantia au Cap de Bonne Espérance ce sont dix domaines comme son Klein Constantia, implantés sur ce terroir « l’un des plus intéressants de l’hémisphère sud, » situé à 6 km de l’océan atlantique à l’ouest et à la même distance de l’océan indien à l’est. Il le montre sur une carte.

Hans Astrom, Directeur Général de Klein Constantia

Le climat est frais, jusqu’à froid, pluvieux et venté. Pas besoin d’irriguer. Le terrain est en forte pente (« comme l’Hermitage« ) descendant vers la mer de 350 mètres à 10. Son domaine fait 145 hectares dont 40 de vignes, les vendanges peuvent s’étaler sur 3 mois, il emploie 120 personnes. On sent l’impatience de la salle de passer à la dégustation. Sur le Constantia, vous en saurez plus au prochain épisode

2016, 2012, 2004, 1995, de la teinte paille à celle ambrée du cognac.

Le 2016 (1) est frais, doux et vif à la fois : « le secret de cette fraîcheur, c’est l’acidité naturelle, » un pH de 3,2-3,3, les vins titrent rarement au-dessus de 14°. « C’est un jeune enfant, l’avenir est à lui. » Charnu, juste sucré, il s’insère avec grâce dans votre palais, y glisse sans insistance comme ne saurait sans doute pas le faire aussi bien un botrytisé, au sucre plus prononcé — il nous faudrait la compagnie d’un Sauternes pour comparer.

Le 2012 (2): « teenager en train devenir un grand, » élégant déjà, dégageant un début de fruit compoté. Même équilibre sucre-acidité qui participe à la qualité aromatique du muscat. Puis une légère sècheresse arrive en bouche qui donne sa saveur au nectar et le rend « humain ». Et il y a de l’iodé, avec un peu de sel, de cette douce amertume saline qui caractérise les grands blancs.

Le 2004 (3) a été élaboré avec la philosophie ancienne, plus rustique mais bien né. Suprenante fraîcheur d’un vin de 15 ans dont la robe est déjà foncée : « les raisins étaient bien dorés, comme le seront ceux de 2015. » Il a le profil d’un vin sec, distille des arômes de tabac, sans sucrosité. « Nous avons mélangé tous les raisins en même temps, les plus vieux avec les plus verts. Le vieillissement s’est fait en fûts. Là réside la constance du vin de Constance. »  Beauté et joie, je ne contrôle plus, la magie des drapés soyeux opère, la griserie m’imprègne et j’atteins l’espace aérien.

Le 1995 (4), vous le voyez, est nettement marron, et sa ligne de dégustation continue de tracer la même perspective, du sel et du frais dans une parure noble et ample, c’est le moins sucré des quatre (112 contre 175 g pour le 2016). « Avec ce millésime qui n’avait que neuf ans depuis le redémarrage de Klein Constantia, et pourtant c’est déjà la fin d’une époque qui en annonce une nouvelle, » conclut Hans Ästrom, pressé par l’horaire de l’avion qu’il doit prendre, the road show must go on. Je ne suis pas sûr d’acquiescer, car je ressens que depuis sa naissance qui tient à la fois du miracle naturel et de l’ingéniosité humaine transmise et renouvelée, la constance de ce Vin de Constance est permanente, sa dignité imposante, et j’imagine aisément que le 1995 doit avoir la même prestance que le 1895 (introuvable, je ne risque pas de me tromper !).

Le même flacon depuis la naissance du Klein Constantia

Après avoir dégusté le « pur vin doux de Constantia, doré presque ambré, aux arômes intenses, avec une teneur soutenue en alcool et une persistance douce et longue » ainsi qu’on le qualifiait au XVIIIème siècle, que conclure ? Ce vin extraordinaire, se méfier des adjectifs mais il en faut bien un pour le qualifier, fait vibrer des zones de sensibilité que je ne soupçonnais pas, il nous donne accès à notre lumière intérieure.

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* prononcer chone-chone, comme dans le film de Sergio Leone, Il était une fois la révolution, dont la musique de Ennio Morricone avec son légendaire « Sean, Sean, Sean » (nom du héros), chantée par la soprano Edda dell’Orso, est devenue un classique et un scie ampoulée, qu’autour de moi on mentionne pour qualifier le BCBG et le convenu.