Nous relayons un article récent de l’éminent journaliste suisse PIERRE THOMAS sur l’avancée des viticulteurs de son pays en matière de cépages résistants, notamment au réchauffement climatique.
Et deux clips de témoignage de viticulteurs bordelais qui, eux, en sont encore au stade préparatoire, tendant à prouver, différemment de ce qu’affirme notre confrère suisse, que la question est largement prise au sérieux et avec méthode en France aussi.

PIERRE THOMAS
Ce pourrait être LA révolution de la viticulture. Planter des cépages résistants en évitant tout traitement phytosanitaire dans le vignoble.

Une utopie ?

Avec le Divico et le Divona, la Suisse a une longueur d’avance, comme l’a montré la troisième Fête du Divico à Bramois, près de Sion, début avril.

« On était 12 autour de 10 vins, il y a trois ans. Aujourd’hui, on est 60 à déguster 50 vins ! », s’est enthousiasmé Johannes Rösti, nouveau chef de la viticulture du canton de Neuchâtel et, comme son alter ego vaudois Olivier Viret, transfuge d’Agroscope, l’équivalent en Suisse de l’INRA.

Pour Viret « la machine est en route, la tendance est donnée, il n’y a plus de doute, on va vers une viticulture plus écologique. » Avec non seulement un effet d’image positif bien dans l’air du temps (réchauffé !), et aussi une facilitation du travail du vigneron. Car pour ces cépages dits résistants c’est zéro traitement : voilà qui évacue la question du bio ou pas bio, du moins à la vigne !

Au Domaine Diroso Kellerei en Valais

L’enjeu majeur : la qualité du vin !
Reste, comme le dit avec modestie le chercheur Jean-Laurent Spring, qui a obtenu l’attribution des deux cépages résistants sortis d’Agroscope, Divico (rouge) et Divona (blanc), que « seule la qualité du produit nous importe. »

Divico et Divona ont le même père et la même mère : croisés naturellement à la vigne, ils sont issus du Gamaret et du Bronner. Le Gamaret est lui même déjà issu du Gamay et du Reichensteiner. C’est donc, comme le dit joliment le producteur vaudois Blaise Duboux, « la mise au pluriel du genre Vitis Vinifera. »

Sur les 50 vins dégustés, une dizaine possédaient des caractéristiques de vins « aboutis » et non plus seulement à l’essai. Certains des meilleurs vignerons s’y sont mis, comme les Vaudois Duboux, Dugon et Graff, ou les Valaisans Joris et Gillioz-Praz. Les uns choisissent la cuve, pour des vins fruités et frais, d’autres, un élevage en barrique, que le Divico rouge paraît bien supporter. Quant au Divona blanc, le riche millésime 2018 lui a donné l’occasion d’exprimer un caractère de pamplemousse étonnant, comme le Bastian 2018 de l’Etat de Genève, déjà bien maîtrisé dans son élevage en fût en 2017.

La recette du meilleur vin n’est pas connue
Comme le dit Johannes Rösti, « pour un nouveau cépage, il faut que la mayonnaise prenne ». Autorisé depuis 2013, le Divico est déjà cultivé sur 40 ha, dont 13 sur Genève et 10 sur Vaud. Le Divona n’est encouragé que depuis 2018 et reste confidentiel.

Sur l’un comme sur l’autre, seule l’expérience permettra de connaître la maturité idéale du raisin, la nécessité de la surmaturation (que certains ont privilégiée, comme sur tout cépage méconnu), puis de l’extraction en cave, plus ou moins longue, de l’élevage sous bois, en grands fûts ou en barriques… Autant de possibilités à explorer par tâtonnements, les micro-vinifications des obtenteurs de Changins ne donnant, par définition, pas toutes les réponses.

Divona (à gauche) et Distico sont dans un bateau…

 

 

 

 

 

 

 

 

Coopération avec l’INRA de Colmar
Le champ des « nouveaux cépages » est immense et avive l’intérêt des chercheurs. Agroscope a choisi de s’allier avec l’INRA de Colmar avec pour but de mettre sur le marché trois à cinq variétés résistantes d’ici 2024. De son côté, l’obtenteur indépendant du Jura suisse, Valentin Blattner, poursuit son travail de pionnier, notamment en France où les domaines de La Colombette, dans l’Hérault, et les Vignobles Ducourt à Bordeaux sont en pointe. Et aussi en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Pologne ou encore en Suède.

Sur plusieurs centaines d’hectares et à raison de 100 millions de « barbues » vendus chaque année dont 50% à l’export, la coopérative italienne CRV mise à fond sur ce que les Allemands nomment les PIWI (*). Elle collabore depuis 2006 avec l’université italienne d’Udine (Frioule-Vénétie) et vise à augmenter la résistance de cépages réputés comme le sauvignon blanc et ses variétés résistantes Népis, Kretos, Rytos, etc. « On étudie aussi des variétés résistantes dont la typicité rappelle le chasselas, le pinot et le merlot », a expliqué à Bramois, Christophe Carlen d’Agroscope.

Résistances françaises
Car il s’agit de faire oublier les hybrides américains et les plants directs pour juguler le phylloxéra, interdits en France dès 1935. La France est la plus réticente à l’introduction des nouvelles variétés résistantes, même si l’INRA entend les généraliser dès 2030. Le copropriétaire du Château Guiraud, grand cru du Sauternais cultivé en bio dès 1996 (certifié en 2011), a écrit ce printemps une tribune libre dans Le Monde où il flétrit « la fausse bonne idée qui met en péril notre patrimoine viticole. »

Aubert de Villaine, copropriétaire du plus « valorisé » des vins en biodynamie La Romanée Conti (plus de 2 000 €/b), a lui aussi critiqué ce « retour des hybrides » dans le magazine helvétique Bilan.
Il n’empêche, comme l’affirme le Suisse Olivier Viret, « que si on s’en tient aux cépages traditionnels que sont le chasselas, le gamay et le pinot noir, on va continuer de devoir traiter avec des produits phytosanitaires. »

On étudie bien, sans grand succès jusqu’ici, une « molécule miracle » d’origine naturelle, y compris à Agroscope, où le programme est cofinancé par… neuf châteaux bordelais, dont Mouton-Rothschild, Yquem, Petrus et Latour, programme reconnu Ecocert depuis 2018 !

 

 

 

 

En France, cycles de formation aux notamment au lycée vinicole Château Grand Baril et Real Caillou (Libourne)

Cépages résistants : l’avenir de la viticulture ?

* pour Pilzwiderstandsfähig, signifiant littéralement capable de résister aux champignons. Les cépages résistants aux maladies de la vigne sont donc regroupés sous cette dénomination. Issus de croisements multiples entre des cépages nobles et des vignes plus rustiques, voire sauvages, ces nouveaux cépages bénéficient d’une résistance naturelle aux maladies les plus dévastatrices de la vigne que sont le mildiou et l’oïdium (source Piwi France).