Dernier d’une série de dix articles sur un voyage organisé par les syndicats des appellations Graves et Pessac-Léognan pendant les vendanges 2014.
Chaque article fait référence à un écrivain.
10. BIG HUGS AU CHÂTEAU DE FIEUZAL
Inspiré par Philippe Sollers *
Le soir approche, je marche seul pas à pas sur les graves et sur le sable aussi, le long des piquets de vignes où poussent les rosiers-sentinelles, entre les châteaux de France et de Fieuzal presque contigus.
Il fait frais, est-ce bon pour les cabernets-sauvignons à cueillir, cette nuit ne vont-ils pas se rabougrir dans leur peau ? Mais non mais non, les graves vont leur redistribuer la chaleur qu’ils ont emmagasinée dans la journée.
Dîner de clôture du voyage dans les Graves pendant les vendanges, bien conçu par le syndicat, il y a de l’actualité, de l’urgence, de la vie, de la répartie, des rires, on s’est faufilé dans les règes, on a entendu les propos des propriétaires et vignerons détendus depuis que le soleil s’est réaccroché sans discontinu depuis la fin août. Nous les journalistes-bloggers avons été hébergés dans les châteaux, traités comme il faut, tous là ce soir, les propriétaires aussi. Pour l’apéritif, les bouteilles de graves blanc sont dans la glace. On se congratule, on entre à l’intérieur, on se congratule encore, big hugs.
Pas à pas à pas sur les graves
Caeoline Perromat (Château de Cérons) et Tristan Kressmann (Latour Martillac), président du Conseil des Graves et parrain de ce blog, face à Monsieur Philibert (Carbonnieux), entre autres. Chaque propriétaire a apporté son vin, vingt en Pessac-Léognan et autant en Graves disposés sur une table. Je fais connaissance avec le Lafont-Menaut et le Haut Reys. Bon dîner bien enlevé parrainé par le chef Cousseau du Relais de la Poste à Magescq — homard, pigeonneau, fromages des Pyrénées et glace-soufflé-moelleux-russe de pistache.
Les présidents des syndicats sont présents, Dominique Guignard (Roquetaillade La Grange, Graves, à droite), Laurent Cogombles (Bouscaut, Pessac-Léognan, 2ème à partir de la gauche), Eric Perrin (Carbonnieux, union des crus classés de Graves, 2ème à partir de la droite), qui à eux trois ont créé en 1992 le Conseil des Graves qui coordonne le tout, plus de 300 propriétés.
Tristan Kressmann (à gauche) non seulement joue de l’orchestre comme seul lui sait le faire, mais son Conseil produit du contenu et de l’organisation œnotouristique — à l’initiative de la route des Graves.
Ce soir on n’est pas là pour parler des questions trop sérieuses comme la proportion des blancs et des rouges — les Graves blancs longtemps en majorité arrachés dans les années 1960 au profit des rouges qui se vendaient mieux et replantés sans doute en trop grande quantité et qu’on aurait maintenant tendance à arracher en replantant des blancs sur les sols argileux et argilo-calcaires, les sols de graves pures étant attribués aux rouges.
Ou encore le problème des Graves Supérieures, ces moelleux qui ne sont ni Sauternes, ni Barsac, ni Cérons, ni Cadillac : ont-ils un avenir ? Et les liquoreux et moelleux en général, combien de divisions ? Avec du Perrier ? Un petit Perrier-Sauternes ma chérie et après hop au lit.
On pense plutôt à Olivier Bernard (Domaine de Chevalier), pas resté dîner, il a racheté Château Guiraud, le sauternes c’est le roi des vins, dit-il, qui replante du sauvignon et restructure des parcelles de sémillon pour faire du sec et pouvoir continuer à faire du liquoreux, eh oui. Le produit s’appelle Clos des Lunes, d’or, d’argent, lune blanche, la bouteille est belle, les 13 500 premières sont parties en 8 jours. Admirons cette vision à vingt ans qui ne s’embarrasse pas du court terme : nous allons faire l’un des 10 meilleurs blancs secs de Bordeaux et continuer à faire du grand sauternes. Les journalistes aiment qu’on leur raconte des contes de fées. Et Bordeaux est une mine à contes de fées.
Quand le vin y aide, les journalistes font office de confidents, et ce soir un ou deux à chaque table, on est entre soi, les propriétaires sont en confiance, sûrs ce 24 septembre que 2014 sera une année normale, on aura la quantité et la qualité, ouf. Alors on entend un peu tout — prix du foncier, échanges de parcelles, recherches de clones, triple tri, sauf les stratégies ou tactiques de « pricing » — on ne parle pas directement d’argent, ça ne se fait pas, sauf peut-être de celui d’untel en particulier, mais c’est l’exception, et ce doit être en millions (dizaines de). Il vaut mieux plaisanter sur soi que d’être sérieux sur les autres, ne pas être lourd, entendre les objections en souriant mais rester sec. Il reste que les graves ont un problème général de positionnement/prix : combien vaut un graves en moyenne ? À quel prix le public le perçoit-il ? Est-ce cher ou pas assez ?
Le Bordelais est de culture locale et mondiale, voyage beaucoup et est toujours là. Il sait ce que le Chinois dit de son vin, quand il faut le vendre à New York, comprend le marché de Hong-Kong, tous les marchés, constate que Prowein égale Vinexpo. Ses décisions sont le résultat de centaines de savoirs intériorisés dès l’enfance, du souvenir des millésimes, des habitudes et coutumes de la famille, de la connaissance de ses clients, il sait ce qu’il leur faut, à chacun, sens de l’opportunité n’est pas opportunisme. Ni lyrique, ni trivial, il parle de terroir plus que de travail au chai. Il est sauvignon, caustique et frondeur; il est sémillon, sensuel et consensuel.
Philippe Sollers dégustant un Haut-Brion à l’Ecluse en 1983.
Finement politique, conservateur et lucide : Juppé est notre ami mais s’il devient président il faudra qu’il s’y prenne autrement que lorsqu’il était premier ministre. Permanent et immortel — encore une fois la lignée, on l’a perçue à chaque étape la lignée, dans chaque château !
Tout change, un graves 2013 n’a plus grand chose à voir avec un graves 1963 ou même 1983.
Rien ne change, c’est le même vin né de cailloux en bordure de Garonne, crus classés ou artisanaux, origine des bordeaux.