DANIEL J. BERGER

Après les AOC du Languedoc, jetons un coup de nez aux IGP (Indication Géographique Protégée), nouvelle dénomination des ex-Vins de Pays, ceux du Gard (Nîmes), de l’Aude (Carcassonne), de l’Hérault (Montpellier) et des Pyrénées Orientales (Perpignan).

À peine trois mois après la récolte, le millésime 2013 a été claironné « exceptionnel » — soleil au beau fixe 320 jours, vendanges tardives « comme avant » en octobre, excellent état sanitaire du raisin — il fallait s’attendre à une grande année à l’égal du mémorable 1998. 2014 a donc été donc une année de communication soutenue, le CIVL, Comité Interprofessionnel des vins du Languedoc couvrant le Roussillon, a rameuté la presse plusieurs fois, la dernière en date à une dégustation à Paris des IGP (Indications Géographiques Protégées) plus convaincante en termes de qualité que celle précédente consacrée aux AOC.


Un vignoble du Languedoc

L’immense vignoble du Languedoc-Roussillon, 235 000 ha, adossé aux massifs des Cévennes et de la Montagne Noire, qui s’étire du Rhône aux Pyrénées en regardant la Méditerranée, produisait il y encore peu quelque 8 millions de hectolitres de Vins de Pays. C’est plus de 4 fois moins aujourd’hui, 1,86 million, la révolution viticole a accompli son œuvre (voir posts précédents) sur ces territoires d’aspect si varié aux sols si différents — cailloux roulés, grès et marnes, calcaires et schistes, argiles, sables, poudingues, mollasses –, aérés par de forts courants d’air (nombreuses mentions du vent sur les étiquettes) qui confèrent aux vins du Languedoc-Roussillon un diversité d’expression incomparable.

Le Languedoc-Roussillon possède 22 Indications Géographiques Protégées, que cette belle présentation quasi exhaustive au Musée des Arts Décoratifs le 12 mai dernier nous a permis de découvrir de façon. Les IGP du L-R sont réparties en appellations de territoire sur les 4 départements, avec des sur-appellations sur le mode touristique et patrimonial genre Coteaux de Narbonne, du Pont du Gard ou d’Ensérune, Cité de Carcassonne, Vicomté d’Aumelas, etc.: on aurait pu faire moins héraldique, les jadis farouches républicains du Pays d’Oc auraient pu tempérer leur vision un brin conservatrice de l’histoire des territoires.

Les modifications d’encépagement ont eu une influence significative sur la qualité et le caractère des vins de Pays d’Oc, avec l’introduction de cépages nouveaux pour la région comme les cabernet, cabernet sauvignon,  merlot, pinot noir, souvent vinifiés séparément pour préserver leur caractère, et ont depuis une dizaine d’années transformé la physionomie du vignoble et le profil des vins. On est dans l’invention (voir ce qu’en dit en fin de post Jean-Baptiste Granier), le libertaire sérieux, le décomplexé cathare, l’étiquette à l’occitane, les assemblages innovants — cabernet sauvignon-tannat-malbec-pinot, par exemple; ou alors le monocépage — carignan, alicante ou syrah.

Carnet de dégustation d’IGP du Languedoc-Roussillon
Voici répartis sur 7 IGP (sur 21 présentes) quelques-uns des vins dégustés parmi les 200 vins présentés.

— IGP Hauterive (Aude)
Gérard Bertrand – Château l’Hospitalet : Cigalus Rouge 2012, un habile assemblage de cabernet-sauvignon, syrah-merlot, et grenache-carignan. Grande classe et prix élevé, 28 € : les IGP aussi se mettent à cogner.

— IGP Côtes de Thongue (triangle Faugères-Pézenas-Béziers). Collines entre 50 et 100 m. Nombreux « ex-« -domaines pinardiers » du XIXème siècle. Diagnostics environnementaux et mesures de la biodiversité des exploitations visant à valoriser la qualité de la production.
Vignerons d’Alignan du Vent Neffiès : Domaine des Montarels Vent des Collines 2012, un joli syrah-cs pour 5,80 €.
Domaine des Capriers : Les Larmes d’Emma 2011, syrah-verdot-cs-grenache, des larmes fraîches et fruitées à 10 €. Emma, continue à pleurer !
Lou Belvestit : Embe 2011, bon équilibre carignan-syrah, à 11 €
Coste Rousse : Coste Rousse Rouge 2010, syrah-grenache-merlot léger et frais, l’élevage en barriques 2-5 ans lui donne de l’âge, 9 €
Domaine de l’Arjolle : Cabernet Merlot 2012, 7,80 €

— IGP Colline de la Moure et coteaux de Bressilles (Pays d’Hérault).
Domaine La Croix St Julien : Alicante 2011, du nom du cépage, joli avec du caractère, 10 €Domaine Pech Merle : L’Instant Présent 2012, assemblage secret non divulgué, goûtant bien, 7 €
Domaine Saint André : Folie d’Inès, cabernet franc-merlot, enthousiasmant, 12 € bon rapport Q/P
Vignobles Montagnac de René Moreno, Président des IGP du Languedoc-Roussillon : M. Nature 2011, carignan-grenache-merlot à 6,20 €, délicat et frais mais moins fruité que le 2007 goûté précédemment.

— IGP Cité de Carcassonne. Le vignoble encercle la Cité de Carcassonne, l’une des plus visitées en France, est bordé et à l’ouest par le Malepère, au sud par les contreforts de Pyrénées, à l’est par le Minervois et les Corbières. « Fraîcheur caractéristique de l’influence atlantique ».
Domaine Saint Martin : Merci ! 2012, assemblage merlot et marselan (cs+grenache) à 7,50 €, fruité, frais et mûr avec une touche de cuir.
Domaine Sarrail : Cabernet Franc 2013 — tiens ! un 2013 –, à 4,90 €, sans grand relief.
Plo Roucarels : Carignan 2011, à 9 €
Vignerons de Carsac : Trencavel 2009, syrah 100%, franc, massif et mur en restant jeune, manquant peut-être de cette fraîcheur après laquelle nous courons, à 6,30 €

— IGP Coteaux de Narbonne. Vignoble ancestral (début de notre ère) au bord de la Méditerranée et du massif de La Clape.
Mas du Soleilla : Terre de vent 2010, cabernet franc-merlot à… 22 €, la Tramontane les a rendus fous.

— IGP Saint Guilhem Le Désert. Entre les confins du Gard à l’est englobant l’Hortus (Pic Saint-Loup) et les hauteurs de la Séranne et le mont Baudille à l’ouest. Garrigues, forêts et causses au nord de Montpellier, le vignoble le plus souvent en hauteur, cohabite avec les oliviers.
À la Cave Coopérative de Montpeyroux : Le Carignan 2012, monocépage, gentil, propre sur lui, sans défaut, pas dispendeux à 4 €, mais rien à raconter.
À Lansac, Domaine du bout du monde : 2012 syrah-grenache, on aime bien l’ex-Ardéchois Edouard Laffitte, et son copain Loïc Rouge qui font du « vin naturel ».
À Aniane, le Mas de Daumas Gassac 2012, cs-tannat-malbec-pinot, à 30 €, on fuit, d’autant qu’il n’y pas de quoi écrire à sa grand-mère.

— IGP Haute Vallée de l’Aude. Vignoble adossé en hauteur à l’Ariège dans un amphithéâtre autour de Limoux, et traversé par l’Aude descendant des Pyrénées. Climat en rupture entre Atlantique et Méditerranée.
Domaine Antugnac : Domaine Antugnac 2012, pinot noir bien marqué Languedoc, 10 €
Domaine Cathare : Hérésie 2012, malbec 100%, différent de celui de Cahors, le terroir marque le cépage et non le contraire.
Domaine Mouscaillou : Mouscaillou 2011, pinot noir, mieux que le précédent, frais et lisse à… 17 €, on évite.
Domaine Delmas : nom nc 2011, pinot noir, la teinte a perdu de son rubis et est devenue cuir, 11 €
Gérard Bertrand : Aigle Royal, pinot noir à 4,30 €, le 2011 a beaucoup de classe comme le 2012 plus fruité, tous deux agréables, plaisants, frais et très bon rapport Q/P

ÉPILOGUE

Pour finir, revenons aux AOC avec Jean-Baptiste Granier (Vignes Oubliées) à Saint-Privat, associé pendant 4 ans à Olivier Jullien (Mas Jullien), considéré comme un chercheur de terroirs et un pionnier du renouveau languedocien.
(Ci-contre, photo La Clef des Terroirs)
Vignes oubliées parce qu’elles allaient disparaître car « ne correspondant plus à la culture [productiviste] des caves coopératives ». Les deux associés ont trouvé les solutions de mutualisation avec les vignerons propriétaires, se sont adaptés aux rendements bas, au travail exigeant des vignes anciennes et à une économie convenant au producteur et au consommateur :  « tant que le nom Vignes Oubliées existera sur nos bouteilles, ces vignes ne s’oublieront pas. »

Petit-fils et fils de vigneron, ingénieur agronome, le métier est aussi pour lui une vocation, transmise jeune : « le travail du vin est difficile et risqué car chaque année on remet tout en jeu, et malgré tout le plaisir est premier. »

Il dit deux ou trois choses indicatives de l’état d’esprit actuel d’une majorité de la profession de viticulteur ou vigneron en Languedoc-Roussillon. La première, à l’intention des journalistes et critiques : « avant d’être dégusté, le vin est fait pour être bu. »

L’esthétique du lieu, le fait de s’y sentir bien, sont des indicateurs de qualité du terroir et de la vigne qui y a élu domicile. C’est beau ici à Saint-Privat. Comme très souvent en Languedoc, la composition du sol est riche : schiste, grès, argilo-calcaire.


Si l’on vous parle tellement de FRAÎCHEUR c’est que le vin du Languedoc ce n’est plus le surmûri, le tannique too much, le cramé-brûlant des années 80. Aujourd’hui nous revendiquons plus de précision, de diversité, de différence de typicité.

Dans les années 2000, on n’est plus dans l’invention, on est dans la traduction des sols, et de l’air des hautes terrasses du Larzac : le Languedoc c’est aussi L’ALTITUDE.

Pour résoudre notre « problème de soleil » qui assommerait la vigne, nous recherchons le vibrant, il faut continuer à l’agiter, maintenir L’ÉNERGIE, faire ressortir notre identité.

Libellé de la contre étiquette des Vignes Oubliées 2009 :
« Terrasses du Larzac. Appelation Coteaux du Languedoc Contrôlée. LES VIGNES OUBLIÉES. Remise en culture de hautes terrasses et de vallées fraîches sur les contreforts du Larzac. Très vieilles vignes d’altitude (300-500 m) de sélections ancestrales. Rares. Raisins provenant d’un collectif de paysans travaillant naturellement des petites parcelles au milieu des bois sur la commune de Saint-Privat, village unique et préservé. Vinifié et élevé par Olivier Jullien et Jean-Baptiste Granier. Sarl Les Vignes Oubliées – 34725 Jonquières. lesvignesoubliees@gmail.com. 14,5%vol. Servir à 15°C. 750 ml. »