DANIEL J. BERGER

Depuis 2012, chaque bouteille de vin bio produit dans l’UE porte le même logo (ci-contre), certifiant le processus de production de la vigne à la bouteille — exigeant des ingrédients bio, la limitation des intrants œnologiques et des ajouts de SO2, entre autres (*).

Comme le montre une enquête récente menée dans l’Hexa-
gone par
IPSOS/Millésime Bio/Sud de France, la viticulture bio continue d’y progresser, qui atteindrait 8% du vigno-
ble; ainsi que les achats, soit en 2012 + 15% sur 2011, pour une consommation globale de vin restant stable.

Les conclusions de l’enquête montrent que la tendance générale en faveur du vin bio se confirme bien : 65 000 hectares de vignoble certifiés et en conversion (1) en France en 2012 (contre 22 500 ha en 2007), avec une consommation atteignant désormais un amateur de vin sur trois.

Avec plus de 5 000 exploitations estimées pour 2013 — dont plus de 1 200 en Languedoc-Roussillon, 1er vignoble bio en France —, modifiant en douceur et progressivement le paysage du vignoble national, la viticulture bio française confirme son dynamisme, se plaçant au 2ème rang mondial derrière l’Espagne et devant l’Italie.

Rappelons que L’UE concentre 88% des surfaces vinicoles bio du globe, très très loin devant les USA et l’Argentine. Au niveau mondial, les surfaces de vignes bio ont plus que triplé entre 2004 et 2011 pour atteindre cette année-là 260 000 ha (raisin de table compris). Les pays viticoles au plus fort ratio bio sont dans l’ordre l’Autriche, l’Espagne, la France, l’Allemagne et l’Italie.

Les convertis

Si en France la progression du bio est moins forte pour la viticulture que pour l’agroalimentaire en général, c’est pourtant le vin qui détient actuellement le plus fort pouvoir d’attraction de l’ensemble des produits bio, attirant donc un consommateur de vin sur trois — 4% régulièrement et 21% occasionnellement, 41% des amateurs interrogés ne buvant pas de vin bio, et 26% n’en ayant jamais entendu parler.

« C’est un marché porteur qui se structure dans la cohérence : il pèse environ 4% de la consommation de vin nationale et ambitionne de passer à 7% fin 2014, » déclare le vigneron Patrick Guiraud, président de Sudvinbio et du salon Millésime Bio. Il estime que le consommateur doit, comme les viticulteurs, faire aussi sa « conversion », notamment avec le conseil des cavistes qui, par rapport à la vente directe, aux magasins spécialisés bio et à la GD, jouent un rôle de relais croissant. Le temps est déjà loin des premiers « convertis du bio », chébrans, ex-roturiers des crus bourgeois ou adorateurs compulsifs de Dame Nature… Aujourd’hui, avec un CA 2012 de 413 M€ (249 M€ en 2007), en progression de 15% sur 2012, l’évolution du marché des vins bio est le signe d’une tendance de fond, installée pour durer.

Si leurs motivations rejoignent à peu près celles des consommateurs de « vin conventionnel », les amateurs de vin bio s’en différencient par le souci de l’environnement , critère n°1: ils pensent que la viticulture bio pollue moins et qu’elle confère au vin un goût plus authentique. Ils savent qu’en bio le vigneron travaille plus et mieux sa terre, sans engrais dopants, intrants chimiques ou pesticides, ni poudres de perlimpinpin au chai.

Perceptions et réflexes

Le fait est que la viticulture consomme encore 20% des pesticides utilisés en France alors qu’elle occupe environ 800 millions d’hectares pour une surface agricole utile d’environ 15 milliards d’hectares, et que les consommateurs français de vin, les plus nombreux au monde per capita, sont aussi ceux qui ont « le plus de pesticides dans le sang« , après les Américains et les Allemands cependant. Les études épinglant régulièrement des doses alarmantes ou des « contaminations » (2) dans des bouteilles prélevées au hasard des rayons de grandes surfaces sont bien connues et comprises des amateurs de bio.

Conscients que le travail de la vigne en bio demande plus de main d’œuvre, ils se montrent prêts à payer 8-9 € et plus pour une bouteille de vin bio à consommer chez soi, et 15 € pour une bouteille à offrir, des montants plus élevés que ce qu’ils paieraient pour un vin conventionnel. Le critère du respect de l’environnement (43%) vient avant celui du prix (30%) : si la garantie bio a un coût, il doit rester relatif même si le vin est un produit qui ne s’évalue pas que par rapport au prix.

L’enquête IPSOS montre que les consommateurs bio sont plus attachés que la moyenne à l’origine géographique et à la notoriété de l’AOP, qu’ils se disent proches du terroir, aiment boire hors repas, chez eux plutôt qu’au restaurant, et se jugent assez connaisseurs. Parmi eux, les jeunes et les femmes sont les plus sensibles au respect de l’environnement.

RAPPEL : qu’est-ce qu’un vin bio ? Un vin en biodynamie ? Un vin naturel ?

Selon la nouvelle loi européenne de février 2012, le « vin issu de raisins bio » a cédé la place dans l’UE au vin bio proprement dit. La certification « vin bio » y interdit certaines pratiques comme la désalcoolisation partielle (3), en restreint d’autres comme les traitements thermiques à plus de 70°, ou le filtrage (4), et fixe les doses du soufre (5).
En conventionnel la vigne est traitée aux herbicides, alors qu’en bio toute matière chimique de synthèse est exclue, le désherbage est opéré sous les ceps de manière mécanique et les espaces entre les rangs de vigne restent généralement enherbés.
Bio comme biodynamie remplacent les insecticides par des organismes vivants (insectes, champignons, etc.).
Les viticulteurs biodynamiques remplacent la bouillie bordelaise (sulfate de cuivre) par des « préparats » ou infusions d’ortie, de prêle et d’autres molécules augmentant les défenses naturelles de la plante, les « éliciteurs » (6).
Si les pratiques bio finissent par influencer la viticulture conventionnelle, elle utilise encore quasi systématiquement des fongicides (contre le mildiou, l’oïdium, le botrytis essentiellement) et des insecticides (contre les chenilles et papillons — tordeuse de la grappe, cicadelle, etc.).
En bio, les seuls produits autorisés seraient le soufre et le sulfate de cuivre, 6 kg/ha/an — on constate que leur accumulation dans le sol est néfaste car elle augmente les résidus toxiques pour les oiseaux et insectes, notamment (il n’existe pas à ce jour de produit de substitution, qu’on trouvera sans doute dans le futur) —, mais qui dit baisse de cuivre, dit baisse de rendement. Les pratiquants bio se défendent en rappelant que les doses utilisées en bio sont inférieures à celles de la viticulture conventionnelle.

tableau

Cependant, quand on regarde la liste des produits œnologiques autorisé en bio, on risque d’avoir le tournis, l’énumération (6) pour un œil non averti peut paraître longue, trop longue, mais ce n’est qu’un confetti comparé celle de la viticulture conventionnelle, qui remplirait un volume.
Au stade de la vinification, les différences entre vin conventionnel, vin bio, vin biodynamique et vin naturel résident dans la proportion respective des composés en plus de l’eau, de l’alcool, des acides, et de dérivés de soufre dits « sulfites ».
En vins bio, les teneurs en sulfites autorisées sont de 100 mg/l pour les rouges et 120 mg/l pour les blancs, et elles pourraient baisser.
Côté biodynamie, le soufre est réduit au maximum, voire absent comme dans certains vins naturels.
Durant la fermentation alcoolique (où les levures transforment le raisin en vin), les viticulteurs conventionnels peuvent en cas d’accident pratiquer la flash pasteurisation, le soufrage, et ajouter des levures exogènes chimiques. Ils peuvent allonger le temps de cuvaison à basse température, procéder au microbullage, concentrer le jus par osmose inverse, évaporer, enrichir, centrifuger, enzymer chimiquement dont OGM, toaster les barriques… entre autres possibilités d' »élevage » permises. Et bien sûr chaptaliser, en ajoutant du sucre pour élever le degré d’alcool lorsque l’ensoleillement a été faible.
Les viticulteurs bio pratiquent le « collage » (avec de l’albumine d’œufs bio) et ajoutent des enzymes non OGM. Certaines levures exogènes, obtenues par la chimie, sont autorisées.
Les viticulteurs biodynamiques ne pratiquent ni collage ni filtration, d’où certains dépôts au fond de la bouteille, et la fermentation se fait à l’aide des levures naturelles présentes dans la peau du raisin.
Les vins dits naturels ont la faveur du public mais leur profil reste insuffisamment défini, soumis à aucune législation particulière. On peut dire qu’il s’agit de vin bio dont les doses en sulfites sont réduites au minimum, 30 mg/l max pour les rouges, 40 pour les blancs. La doxa du naturel veut que la fragilité des jus, en raison du manque de stabilité dû au dosage de soufre minimum minimorum, offre une multiplication de saveurs et d’arômes authentiques et « oubliés », au point de neutraliser l’identité des cépages. L’auteur de ces lignes est encore à la recherche d’un vin naturel convaincant, loin d’être seul à avoir remarqué de nombreuses fois une apparence souvent brouillonne et des défauts inadmissibles conséquence d’une fermentation mal maîtrisée — nez de poivron, de champignon, de purin ou d’excrément… — résultant de l’absence du conservateur naturel qu’est le soufre utilisé depuis que le vin est vin.

À SUIVRE…
Des vignerons qui ont passé le cap

(1) Le temps de conversion en bio est de trois années/vendanges.
(2) Pesticides tels que pyriméthanil ou procymidone qui, même s’ils se révèlent en dessous des seuils prescrits, sont jusqu’à 1 000 fois supérieurs à ceux admis pour l’eau.
(3) et…  concentration par le froid, et traitements par électrodyalise ou échangeurs de cations pour stabiliser les tartres…
(4) … ainsi que l’osmose inverse et les résines échangeuses d’ion.
(5) Les deux principaux usages du soufre :
*A la vigne : pulvérisation à sec (soufre fleur) ou en solution dans l’eau (soufre mouillable) sur le feuillage, pour lutter contre l’oïdium. Il est transformé par les microbes foliaires en acide sulfurique qui baisse le pH des feuilles et empêche le champignon de se développer. C’est un produit préventif non toxique.
*Au chai : c’est sous la forme d’anhydride sulfureux (SO2) qu’il est ajouté au moût de raisin et/ou au vin pour les protéger contre l’oxydation et éviter qu’ils ne tournent au vinaigre. On le retrouve alors sous deux formes : libre ou combiné.
— Soufre combiné : 60 à 95 % du SO2 ajouté se combinent à d’autres éléments (sucre, phénols…). Cette forme n’est pas « active ».
— Soufre libre : il ne s’associe pas aux autres molécules et reste libre. C’est lui qui est actif et responsable du fameux mal de crâne si ce n’est des aigreurs d’estomac, lorsqu’il dépasse 60 mg/litre. Utilisé à petites doses  — entre 15 et 30 mg/litre — il n’est pas nocif.
SO2 total = SO2 combiné + SO2 libre.
Les cahiers de charges des différents labels et marques de vins biologiques et biodynamiques ont fixé des doses de SO2 total à ne pas dépasser, exprimées en mg/l:

(6) Produits autorisés en vinification bio :
— azote (gaz), anhydride carbonique et argon (gaz) pour créer une atmosphère inerte et manipuler le moût à l’abri de l’air
— levures biologiques et lactiques pour améliorer la fermentation
— phosphate diammonique et chlorhydrate de thiamine pour favoriser le développement des levures
— charbon activé pour décolorer
— tannins pour enrichir
— gélatine alimentaire, colle de poisson, ovalbumine, caséine, caséinate de potassium, dioxyde de silicium, bentonite, enzymes pectolytiques, alginate de potassium, et sulfate de calcium pour clarifier
— acide lactique et acide L(+) tartrique pour acidifier
— acide L(+) tartrique, carbonate de calcium, tartrate neutre de potassium, bicarbonate de potassium pour désacidifier
— acide L-ascorbique, acide citrique, acide métatartrique, gomme arabique, bitartrate de potassium, pour stabiliser
— citrate et sulfate de cuivre pour éliminer le mauvais goût ou les mauvaises odeurs (jusqu’au 31.07.2015)
— bois de chêne pour enrichir le goût et la couleur
— anhydride sulfureux (SO2), et sulfites (bisulfite ou métabisulfite de potassium) pour conserver
Les produits non listés ci-dessus ne sont pas autorisés.
(7) Selon Wikipédia, un éliciteur est une molécule produite par un agent ravageur ou phytopathogène qui induit chez une plante la production de phytoalexines et par extension, une molécule qui déclenche les mécanismes de défense des plantes avec production de substances défensives.