DANIEL J. BERGER

RENCONTRE AVEC FRÉDÉRIC GALTIER

Interview du manager communication du Concours Mondial de Bruxelles, le Français Frédéric Galtier (photo), qui vit près de Barcelone. Journaliste free-lance de la presse du vin, il a aussi créé l’agence conseil desembolic.com pour accompagner les entreprises francophones sur le marché espagnol.

Le Concours Mondial de Bruxelles est considéré comme le 1er championnat du monde du vin : plus de 8 000 échantillons en compétition, jugés par 350 experts de 40 pays, notations validées par l’Institut de Statistique de l’Université de Louvain.

Créé il y a 20 ans, le CMB se tient hors de Belgique depuis 2006, et cette année c’est à Bratislava (Slovaquie) qu’il va se dérouler les 10, 11 et 12 mai.

Frédéric Galtier, quelle est votre expérience du monde du vin ?
Je travaille dans le secteur depuis le début des années 90. Mes armes, je les ai acquises au contact des vins du Nouveau Monde, particulièrement ceux du Chili, que j’ai représentés durant cinq ans chez Prochile auprès de l’ambassade à Paris. À la sortie de Sciences Po, jamais je n’aurais envisagé de travailler dans le vin, c’est ma spécialisation dans le monde hispanique qui m’y a amené. Je dois ajouter que j’ai été très tôt familiarisé à la chose – je suis né à Carcassonne cerné par la Blanquette de Limoux (et le rugby!), mon grand-père me gardait toujours une bouteille de Gaillac perlé, et mon père a été un temps rédacteur en chef de la Journée Vinicole à Montpellier. Quant à ma mère, c’est l’une des meilleures dégustatrices que je connaisse, et j’ai hérité de son goût pour le blanc

Le Concours Mondial de Bruxelles: 350 dégustateurs de 40 nationalités pour déguster 8 200 bouteilles sur 3 jours

Vos responsabilités au sein de l’équipe du Mondial ?
Je connaissais bien la Belgique, si tant est que l’on puisse bien connaître la Belgique… J’ai travaillé deux ans pour un salon des vins à Bruxelles et c’est là que j’ai fait connaissance de l’équipe du Concours Mondial de Bruxelles, qui organise non seulement le concours du même nom, mais aussi le Concours Mondial du Sauvignon, le Spirits Selection et le Brussels Beer Challenge. Et quand je me suis installé à Barcelone en 2004, Baudouin Havaux (Président du CMB, ci-dessous) et Thomas
Costenoble (DG) m’ont proposé de le représenter en Espagne, pays au potentiel jusque-là peu exploité. Depuis, l’Espagne est devenue le 2ème participant par le nombre d’échantillons inscrits, juste après la France : près de 1 700 vins espagnols sont présentés cette année, un record, le CMB devient l’une des plus grandes vitrines de vins espagnols au monde – si ce n’est la plus grande.

En 2010, ils m’ont demandé de prendre en charge le département communication internationale. S’agissant d’un forum unique en son genre, où tous les ans la diversité de la production rencontre la diversité de la prescription de vins, j’ai un poste réellement passionnant. Les dégustateurs proviennent du monde entier et ont chacun un profil professionnel pointu – sommeliers, œnologues, journalistes et écrivains, importateurs et acheteurs, distributeurs, etc. Le CMB est un carrefour et un lieu extraordinaire de rencontre et de débat. Et dans ma position privilégiée, je peux obtenir l’information la plus récente sur la distribution, la production et la consommation de vin dans plus de 50 pays : c’est une vraie mine d’or.

Je produis essentiellement du contenu: réunir des profils aussi variés, de plus de 50 pays, leur faire déguster plus de 8 000 vins du monde, ça génère de l’info, des réactions, des commentaires. En plus d’un concours nous sommes un observatoire, c’est ce que j’essaie de traduire en texte et en images. Et aussi en statistiques grâce à notre collaboration avec l’Université Catholique de Louvain : on peut confirmer chiffres en mains la tendance vers la spécialisation variétale des régions cde production par exemple, ou bien le déclin des problèmes de bouchon.

Vous êtes vous-même juré au CMB ?
Depuis trois éditions je ne déguste plus malheureusement, par manque de temps. Par contre je continue à déguster au Concours Mondial du Sauvignon ou au tout jeune Grenaches du Monde. Mais bon, Bruxelles c’est Bruxelles, et ne plus y déguster est une vraie frustration.

Que recherchez-vous dans un grand vin ?
Je me méfie beaucoup du concept de grand vin. Pour tout dire, les grands vins m’ennuient. Je leurs préfère les grands moments. C’est le contexte, la compagnie qui donnent vraiment leur grandeur au vin, plus que son nom ou son prix. J’aime les vins à boire, les vins de soif, de plaisir, bien plus que ceux que l’on recrache en dégustation. J’aime le goût du vin, ses arômes et aussi ses effets.

CMB : 8 200 échantillons représentant 500 millions de bouteilles commercialisées

Qu’est-ce qui vous plaît dans ce concours géant ?
Un mélange de choses, le sérieux d’une organisation huilée et sans faille et l’ambiance unique, surréelle et terrienne qui ne peut être que belge. Une réunion de copains qui ne se prennent pas la tête mais qui aiment les choses bien faites. Et puis en coulisses, la Blanche de Bruxelles ne manque jamais, ni les tartes al d’jote de Nivelles: que c’est gras mais que c’est bon !

Quelle a été votre meilleure expérience dans le monde du vin ?
Sans aucun doute mon passage chez Cavas Gramona à Barcelone. J’y ai découvert les coulisses du secteur et un produit fantastique – le Cava, un vin effervescent produit surtout en Catalogne – et ce grâce au tandem, parfois ombrageux, d’un grand œnologue curieux et inventif, Jaume Gramona, et d’un communicateur raffiné et intuitif, Xavier Gramona. Une formidable expérience et une belle histoire, conclues par le prix journalistique du Cava qui m’a été décerné en 2011 par l’appellation pour un reportage que j’avais publié en décembre 2010 dans la revue belge Vinomagazine.

Vous tirez quelles leçons de votre activité de journaliste et communicateur du vin ?
Le monde du vin rassemble une population à fort caractère avec parfois des egos encombrants ! On y trouve beaucoup de gens importants et indispensables, comme dans les cimetières… Sans rire, ce que j’ai appris c’est l’humilité de la dégustation à l’aveugle: je sais que je ne sais pas. Et puis mon passage par la production en tant que directeur de la communication de Cavas Gramona m’a fait comprendre que ce qui est difficile c’est de produire tous les ans des vins de qualité et… de les vendre. C’est peut-être pour ça que je préfère a priori prendre la défense d’un vin plutôt que de le démonter ou de lui chercher la petite bête ou le petit fruit rouge qui cloche.

Et vos moments les plus mémorables ces dix dernières années ?
Le Concours Mondial de Bruxelles !C’est une aventure différente année après année : un nouveau pays d’accueil à chaque édition, des rencontres innombrables, des vins si nombreux et différents, des découvertes, encore des découvertes. Et puis cette pression de l’événement : 350 dégustateurs de 50 nationalités, plus de 8 000 vins, tout cela sous un même toit pendant trois jours, ça rend accro.

 

 

 

 

 

 

 

CMB: une cinquantaine de juries de 5 dégustateurs pour les vins, et 8 pour les spiritueux, notant selon de nombreux critères.

 

 

 

 

 

À votre avis, quels vins méritent le plus attention en 2013 ?
De mon passage de Prochile à Gramona et aujourd’hui au CMB, j’ai vu le secteur évoluer au fil des modes. Les vins de terroir étaient ringards dans les années 90, les Appellations restrictives à la française vouées au pilori de l’obsolescence. Et maintenant, tout cela revient en force, c’est amusant. Je m’attends quand même à retour imminent des classiques cabernet et chardonnay !

Quels vins achetez-vous en ce moment ?
J’achète peu de vin j’avoue, j’en reçois. Et puis à Sitges où je vis, près de Barcelone, j’ai une jolie terrasse mais pas de cave ! Si j’achète un vin, c’est en général un blanc ou un rosé. Ma femme qui est catalane voue une vraie passion aux blancs secs et aux rosés de Provence, aux champagnes et aux vins doux naturels du Roussillon. En catalan on dit « talla el bacallà », c’est elle qui commande !

Et celui que vous emmèneriez sur une île déserte ?
Un vin effervescent, et plutôt un outsider… Cava ou Limoux. L’Argent rosat de Gramona ferait très bien l’affaire. C’est précis, gourmand, et puis c’est très bon ! Ou alors un vieux Maury, vin de vertige d’obédience cathare.

Vous auriez un conseil à donner à un débutant dans le vin ?
Ne pas se laisser impressionner. Le monde du vin est encore très snob même si les choses changent vite. En Espagne par exemple, la communication du vin reste bien ampoulée et c’est dommage, car elle laisse toute une nouvelle génération à la porte. C’est un vrai drame ici, avec 16 litres de vin par tête et par an, les niveaux de consommation demeurent pathétiquement bas.