BULLY

Treize producteurs japonais de la région de Yamanashi étaient présents à la dégustation organisée à l’OIV à Paris le 20 février dernier, par l’association Koshu of Japan (*).

J’ai goûté leurs vins blancs issus de ce cépage autochtone kôshû, millénaire selon la légende, dont les raisins auraient été les premiers introduits sur l’Archipel via la route de la soie : le Japon aurait sans le savoir fait ainsi la découverte de la vitis vinifera de l’Occident.

Deux légendes tournent autour du kôshû, le cépage qui se veut l’emblème et le symbole du vin japonais.
La première : un moine, en 718, récoltant du raisin, de kôshû donc, autour du temple Daizen-Ji en cours d’édification, aurait dédié son temple au culte de la vigne. La vigne et les moines, il n’y a pas qu’en Europe que le tandem séculaire fonctionne (et les missionnaires portugais auraient au XVIème siècle initié les Nippons au vin).
La 2ème légende veut qu’en 1186, Amémiya Kageyu ait planté un cep sauvage au mont Fuji, ait récolté cinq ans plus tard des raisins de qualité supérieure, puis les ait disséminés dans le village de Kofu, province de Yamanashi, faisant ainsi de cette région le berceau du kôshû.
Mais le raisin n’est pas le vin, et il a fallu de très très longues années pour qu’il devienne une réalité au Japon.
En 1870, deux étudiants, Masanari Takano et Ryuken-Tatsunori Tsuchiya (ci-contre, bouteilles à la main), sont envoyés en France pour s’initier à la science de l’œnologie et aux pratiques de la vinification.
Simultanément, Messieurs Yamada et Takuma créent le premier chai de vinification à Kofu dans la province de Yamanashi. En 1874 ils produisent environ 900 litres de blanc et 1 800 de rouge, le premier vin digne de ce nom historiquement répertorié au Japon.

Les très rares consommateurs buvaient, et boiront encore longtemps, du vin importé d’Europe — cela ne concerne que les catégories sociales les plus aisées des zones urbaines; du vin local assemblé avec des moûts importés en vrac (jusqu’à récemment, il suffisait de 50% de raisin récolté sur l’Archipel pour qu’on puisse le baptiser de « vin fabriqué au Japon »); des vins sans raisin aromatisés; des imitations ou ersatz fabriqués localement (ci-contre, l’affiche presque coquine pour le porto Akadama de Suntory qui remonte à… 90 ans, en 1922); ou encore des produits vaguement médicinaux disponibles dans des officines pharmaceutiques.

Ce n’est qu’en 1970 avec l’exposition universelle d’Osaka que le vin a pris son véritable essor sur l’Archipel. Mais il reste une boisson marginale (3,2% de la consommation totale d’alcool) comparée à celle de la bière ou du happoshu (bière de malt); du shochu et autres liqueurs distillées; et des alcools — bien sûr le saké, et aussi le whisky, dont Suntory est devenu un acteur de premier plan en Asie.

Les Japonais amateurs de vin ont d’abord été consommateurs de blanc, plus approprié à leur cuisine — plats cuisinés légers peu épicés et à base de poissons (1). Pour vin, ils disent budoshu. Mais c’est le mot wine qui est systématiquement accolé au nom du cru ou de la propriété (on s’abstient de le répéter dans la liste ci-dessous).

Les treize kôshû wines 2010 et 2011 présentés par leurs propriétaires localisés à Yamanashi, au pied du mythique FUJI-YAMA, étaient les suivants : Alps, Grace, Haramo, L’Orient, Lumière, Marquis Winery, Mercian, Rubaiyat, Sadoya, Soryu, Tomi No Oka Winery (Suntory), Yamanashi, Yamato.

• Logiquement j’ai commencé par le commencement, le N° 1 — Le Japanese Style Wine 2010 de Alps, un sec élevé sur lies, frais, assez minéral, kôshû relevé de chardonnay, dont j’ai trouvé la finale bien courte.
Je pressens que le manque de longueur/persistance en bouche va être mon problème lors de la dégustation de cette série de vins japonais.
Pourquoi Alps ? À cause du paysage qu’on peut voir depuis les bâtiments de ce petit chai (prod. 1 108 hl) situé à Fuefuki, les Alpes japonaises, ainsi qu’on qualifie la chaîne de montagnes de Kofu.
Produisent du raisin de table et du vin. Leur slogan : « small company, high quality ».

• Je suis ensuite passée au N° 2 — Grace Wine de la société Chuo Budoshu. Domaine familial fondé en 1923 produisant 2 000 hl/an, le vignoble s’est agrandi il y a 10 ans en s’adjoignant le vignoble voisin Misawa. Mène des recherches techniques sur le palissage et le cépage kôshû (2).

Je confesse n’avoir pas saisi toute la différence de finesse entre leurs deux kôshû 100% Grace Koshu 2011, Kayagatake et Hishiyama, tous deux très pâles, tous deux très secs.

• N° 3 — Haramo, ancienne coopérative devenue entreprise privée en 1973 (500 hl/an). J’ai dû faire preuve d’une grande concentration pour apprécier le Haramo Vintage Koshu 2011, il est tellement léger, tellement subtil, presque transparent, et si volatil.

Haramo, L’Orient, Marquis Winery, Mercian, on le voit le nom du cépage est bien présent sur l’étiquette de chacun des producteurs.

• N° 4 — L’Orient Koshu 2010, de couleur très pâle, élevé sur lies, agréable sans plus (faible longueur !). 7 ha — 2 en propriété, et 5 en fermage. Gamme fournie.

• N° 5 — Lumière. Je n’ai pas dégusté cet effervescent, l’un des deux seuls de la série, le Lumière Pétillant 2010.

• N° 6 — Marquis Winery, fondée en 1891 par Tatsunori Tsuchiya, l’un des deux jeunes gens partis de Katsunuma pour aller étudier en France la vinification. Ce serait le plus ancien chai de vinification japonais, mais il n’est pas le seul à revendiquer d’avoir été le premier (voir ci-dessous, Mercian). À leur Koshu Jien Blanc 2011 sorti de fût, j’ai mis **.

• N° 7 — Mercian, filiale vin du groupe du même nom appelée Château Mercian, lancée en 1970. Mercian est né de Dai Nippon Budoshu Gaisha fondé en 1877 et qui serait la première entreprise de vin au Japon.
Le Mercian Koshu 2011 a un curieux nez de goudron, loin de me déplaire. Cette acidité légèrement perlée en bouche et une finale un peu astringente me plaisent. Je mets **1/2, peut-être ***.

• N° 8 — Marufuji Winery dispose de 1 ha de vignoble et produit 150 000 b/an en blanc kôshû, et aussi sauvignon et chardonnay, et en rouge (cabernet sauvignon, merlot, petit verdot).

M. Ohmura le propriétaire, localisé à Katsunuma, est un extraverti, il possède une vision, se sent investi d’une mission vis-à-vis des générations futures, rêve de faire accéder le kôshû au stade de cépage universel et veut « concourir ! » avec les vins du monde entier.

Son Rubaiyat Koshu 2011 est un vin particulier, très minéral, celui d’un vigneron inspiré, avide de nature, de poésie, d’émotions, mais… pas encore fait. Mention spéciale.

• N° 9 — La maison Sadoya produit du vin depuis 1917. Juste après la fin de la guerre, en 1946, elle a créé un cru de type bordelais nommé Château Brillant.

Plusieurs générations se sont succédé, formées à l’œnologie à l’ENSA de Montpellier – dont Hirohisa, acquéreur d’un vignoble en côtes de Provence en 1989, et Yukyo, repreneur du flambeau en 2007.

J’ai bien aimé leur Zenkouji Kitahara 2011, fruité, joli, typique kôshû, mais… un peu court (toujours mon pb de longueur).

• N° 10 — La Soryu Winery créée en 1899 par Masanari Tajano et Ryoken Tsuchica, des pionniers qui, eux aussi ! avaient fait à l’époque le voyage initiatique de France, présente son Soryu Koshu 2011, un sec bien sûr, médaillé localement, qu’ils promeuvent comme vin de repas – fruits de mer ou légumes. Mérite **.

• N° 11 — Le groupe Suntory Wine International possède un certain nombre de chais de vinification dont le très moderne Tomi No Oka à Yamanashi (Tomi no = monter + joli, Oka = colline) certifié ISO 14001 (développement durable) et 9001 (qualité).

Il présentait le Tomi No Oka Koshu 2010, un « vin de terroir et d’humanité » si je traduis bien leur anglais traduit du japonais, « souple et tranquillement galant » (gallant veut aussi dire séducteur, même carrément dragueur), qualificatif convenant bien à ce vin international, dans le style des vinhos verdes modernes à la joliesse un peu racoleuse, servis au bar des grands hôtels de la planète.

La notice de présentation le compare à « un kimono, dont la beauté de forme revêt une grâce tant spirituelle que physique, la personnification du vin japonais. »

Je devais être bien impressionnée car je ne l’ai pas noté !

• N° 12 — Yamanashi initié en 1913 et rassemblant un siècle plus tard la fine fleur des vignerons de la région, qu’on peut qualifier de bio tant leurs processus sont proches de ceux du monde occidental – conduite raisonnée, réduction des intrants, tri systématique des baies, trajet des grains par capillarité, fermentation « naturelle » ou avec le minimum d’interventions, etc.

J’ai bien apprécié leur Sol Lucet Kôshû 2011 pour sa recherche d’équilibre fruit-minéral malgré, mais devinez quoi…
un certain manque de longueur, un manque certain plutôt.

• N° 13 — Yamato a été fondé, comme Yamanashi, en 1913, sous le nom initial de Hagihara. Plusieurs chais de vinification situés notamment à Katsunuma (3) et dans la province de Nagano. Fabrique des rouges et des blancs au moyen de la production des viticulteurs locaux, et un Koryu issu de vignes vieilles de 130 ans. Versé dans la recherche œnologique sur le kôshû, variétés Hishiyama et Sanjaku, et un autre cépage, le Murasaki budo; ainsi que sur la géologie, précisément l’accroissement d’assimilation des acides aminés par la vigne, avec l’objectif de produire des vins radicalement différents du kôshû conventionnel.

Le préoccupation de la minéralité s’inscrit dans le nom même de leurs vins :

le Mineral Koshu Katsunuma 2011, que j’ai trouvé effectivement différent, plus foxé peut-être que les autres;

et le Mineral Koshu Katsunama Sparkling 2011, le 2ème pétillant de la série (le plus à gauche), qui m’amène à terminer par une question : l’indication du millésime sur les effervescents est-elle générale au Japon ? Si c’était le cas, ce serait un paradoxe dans un pays où l’inscription de la date de construction sur les bâtiments n’est pas une tradition.

Bouchage : sur les échantillons présentés, hormis les deux effervescents, j’ai noté 5 capsules à vis, et 8 bouchons.

乾杯, 乾杯!– Santé ! Cheers! Chimo!

Bully
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(*)  Koshu of Japan est l’association créée en 2009 par les professionnels de Yamanashi pour œuvrer à l’amélioration de la qualité du cépage et à la promotion de leur vin à l’international. Leur campagne de communication a été lancée d’abord en Angleterre. KOJ s’est entourée d’œnologues étrangers, notamment Denis Dubourdieu avec sa cuvée Shizen.
(1) Aujourd’hui, 48% des vins consommés sont des vins rouges, 43% des blancs et 9% des rosés.
(2) Créé en 1991 dans un laboratoire à Yamanashi, le kai blanc, qui produit un vin fruité avec une belle acidité, est un croisement de kôshû et de pinot blanc.
(3) À propos de la région viticole de Yamanashi, lire la communication aux Annales de Géographie de Jean-Robert Pitte, alors qu’il était encore maître-assistant à la Sorbonne, consacrée en 1983 au vignoble de Katsunuma. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1983_num_92_510_20178

QUELQUES DONNÉES STATISTIQUES

Le Japon compte environ 80 000 viticulteurs. 80% des raisins sont vendus en raisin de table, 10% utilisés par l’industrie alimentaire (bonbons, confitures), et 10% consacrés au vin – répartition à l’inverse de l’économie globale du raisin dont 80% de la production mondiale sont destinés à la vinification.

La production japonaise de vin s’élevait en 2008 à environ 900 000 hl (soit moins de 1/40ème de la production française, 42,5 M hl).
La moitié des vignobles est située dans la province de Yamanashi et aussi de Nagano.
La surface moyenne d’un vignoble à Yamanashi est de 0,25 ha.
Les viticulteurs vendent leur raisin à des coopératives ou à des producteurs privés, comme en Rioja ou en Champagne.

Le marché du vin au Japon est détenu en majorité par 5 grandes sociétés : deux groupes de spiritueux centenaires, Mercian (propriétaire de Château Reysson à Bordeaux et de Markham en Californie) et Suntory (propriétaire dans le Médoc,
à St-Julien, de Château Lagrange et codétenant une importante participation dans Château Beychevelle avec le groupe français Castel); deux brasseurs, Sapporo et Asahi, qui exploitent des chais de vinification à Yamanashi et à Nagano; et la première entreprise de sauce de soja,  Manns/kikkoman, qui possède deux grands chais également à Yamanashi et Nagano.

La législation japonaise a changé : jusqu’à une date récente elle autorisait les vins de marque nippons à ne contenir qu’environ 50% de vin issu du territoire japonais (l’autre moitié constituée d’un assemblage de vrac importé et sans mention de provenance). Elle a été réformée en vue d’encourager la qualité des crus et terroirs japonais. Mais la proportion n’a été ramenée qu’à 75% de raisin local tandis qu’elle est de 100% pour une AOP européenne.

Le Japon est le pays qui compte le plus de sommeliers, après la France, avec environ 8 000 membres, professionnels et amateurs. Ce sont les Japonaises qui apprécient le mieux le vin, membres de clubs de dégustation et fréquentant les bars à vins. Les hommes préfèrent se retrouver après le travail pour boire des bières et manger des yakitori (brochettes).