DANIEL J. BERGER

Nous n’étions rien, soyons tout ! — la ligne mythique de l’Internationale, bien des vignerons sont en train de la vivre pleinement. Pour se sentir mieux et plus forts, même les « plus individualistes, tu meurs! » sont résolus à s’unir, j’ai pu le constater il y a quelques jours au salon Vinisud de Montpellier.
Prenons le groupe les
Outsiders, il intègre dix vignerons du Languedoc-Roussillon qui « font les choses différemment ». Ou Ambiance Rhône Terroirs, qui rassemble huit familles du Rhône pratiquant la dynamique de groupe à leur façon. Ou le GVin aux vingt domaines et vingt appellations. Ou encore en Val de Loire, Singuliers Vignerons qui réunit dix domaines en biodynamie. On regarde.

GVin est un groupement de 20 propriétés viticoles de premier plan situées en vallée du Rhône, en Provence et en pays d’Oc. Il présente une offre de vins savamment complémentaire autour du GSM, comprenez Grenache-Syrah-Mourvèdre, les trois cépages sudistes rois. Son originalité est de rendre possible aux agents, cavistes, grossistes, l’achat panaché de bouteilles de chaque propriété, de Condrieu à Bandol, de Rivesaltes à St-Joseph, de Cassis au Larzac : vingt domaines, vingt appellations. Jadis isolés, ils se serrent les coudes, et se font du bien.
Réunis à Vinisud, j’ai rencontré deux d’entre eux : le domaine Sainte-Anne, situé à St-Gervais entre Bagnols-sur-Cèze et Barjac, et le domaine Tempier de Bandol.

Le domaine Sainte-Anne produit des côtes du Rhône d’une fraîcheur et d’une douceur surprenantes.

De lointaine origine autrichienne, les Steinmaier, Guy (ci-contre)et Anne, sont passés par Montceau-les-Mines avant de venir en Bourgogne, à Givry, pour s’y installer vignerons. Leurs vins sentent à la fois ces Cévennes aux sols de grès calcaire balayés par le mistral, où ils se sont fixés, et l’expérience de leur parcours en France : leurs Côtes du Rhône-Villages ont quelque chose en plus

Le 2010 d’abord (4,40 € ht départ), bien équilibré  « entre finesse et structure » comme le définit Guy Steinmaier, toujours souriant, entre grenache à 70% et syrah à 30%. Un vin plus simple que celui de la cuvée « Notre Dame des Cellettes » (grenache 70%, syrah 20%, mourvèdre 10%, 6 € ht départ), deux vins qu’on peut commander sans hésitation. Leur haut de gamme est le Saint-Gervais « Les Mourillons », issu essentiellement de syrah de 40 à 60 ans d’âge (8,70 € ht départ). Je ne savais pas qu’un Côtes du Rhône pouvait être aussi angélique, céleste et bienfaiteur.
On peut passer commande directement : domaine.ste.anne@orange.fr

Le stand communautaire de GVin à Vinisud ne désemplissait pas, on sentait l’esprit de corps, autour d’une grande table au milieu, les visiteurs s’installaient, dégustaient tranquillement, les clients faisaient leurs affaires… l’ambiance du vrai G 20 pourrait-elle ressembler à celle-là ?

Le domaine Tempier à Bandol est célèbre, un peu plus encore depuis que l’écrivain américain Jim Harrison l’a élu.

Lors d’une traversée au dessus du lac Michigan, le petit avion dans lequel il était passager avait failli être désagrégé par un orage, et lui songeait terrifié que « les oiseaux ont la jugeote de ne pas voler dans la tempête. » Une fois revenu à la maison « après avoir embrassé le cul de la mort » et tremblant toujours, il avait bu lentement, l’une à la suite de l’autre, deux bouteilles du domaine Tempier, La Migoua et La Tourtine. Jim Harrison : « ce nectar m’a ramené en Provence à la fin avril, quand j’avais mangé et bu avec tant de bonheur chez Lulu Peyraud après que nous nous sommes agenouillés dans le jardin près de la tombe de son mari, Lucien (à droite, photo des années 50), qui avait créé ce vin splendide. » (1) Lucien Tempier, « pape du mourvèdre », est décédé en 1982 laissant à ses deux fils le domaine, repris en 2000 par Daniel Ravier.
Le Domaine Tempier par sa notoriété mondiale, donne encore plus de poids au GVin.

J’ai pu déguster, en compagnie d’Olivier Poussier (2) qui passait là, d’abord leur Cuvée classique 2010, vignes de 35 ans, 15% grenache, 75% mourvèdre, et 10% mi-cinsault, mi-carignan. Puis La Migoua 2010, 50% mourvèdre, 30% cinsault, le reste syrah et grenache, provenant de garrigues sauvages en hauteur. Ensuite La Tourtine 2010, aux vignes pentues toujours ensoleillées et très ventées. Célèbre, Tempier l’est autant pour sa qualité que pour ses prix : ces vins valent 38 €/b. J’ai continué avec le Cabassaou 2010, une parcelle unique de 1,5 ha en restanques, dont les ceps sexagénaires de mourvèdre (95%, avec une petite touche de syrah et de cinsault) restent protégées du mistral : 54 €/b. C’est un vin de grande garde. La dégustation s’est achevée avec trois Classique : 2009, 2007, puis 2006 en carafe.

En regardant les restanques (murets) au milieu de la garrigue, les vieilles falaises calcaires usées, le ciel bleu profond au-dessus des 40 ha du vignoble Tempier situé entre La Ciotat et Cassis, près du Castellet, on comprend mieux comment les arômes de réglisse, d’herbe sèche, de poivre, de cuir et de grillé se mélangent tout en douceur dans leurs vins nuancés, soyeux, frais, qui resteront toujours jeunes. Et pourquoi Jim Harrison parle de « nectar » : parce qu’ils concilient le fruit avec une opulence tannique dénuée de lourdeur, et la précision avec la légèreté.

Les Singuliers Vignerons sont dix « artisans passionnés » à partager la même philosophie du vin bio. Au salon des Vins de Loire à Angers, j’en ai rencontré un, Émile Hérédia, vigneron des Coteaux du Vendômois au domaine de Montrieux.

« Quand je me suis installé pas loin de Vendôme, j’ai acheté des petites vignes, pas bien orientées souvent, en fait toutes celles dont les autres ne voulaient pas » avoue sans complexe Émile Hérédia (à droite).

Il fait des rouges issus de gamay comme le « Point G » (environ 10 € ttc), mais son truc c’est le pineau d’Aunis, dont il a encore certains pieds plus que centenaires, c’est-à-dire préphylloxériques, ce cépage méprisé avec lequel il produit un « Petill’gris » en vin de France (càd sans qu’une indication géographique de provenance soit mentionnée), un autre « pétillant » (10,40 € ttc), et un « tranquille » qui ont un succès considérable à New York, à Oslo, à Tokyo… peut-être parce que ces « authentiques » correspondent au goût nouveau d’exotisme à force de simplicité, presque naïf. Émile, regard tendre et sourire inquiet, propose aussi un joli « verre des poètes » pour rappeler peut-être son cousinage éloigné avec le Parnassien des Trophées, Jose-Maria de Heredia :

… Les Bacchantes en fuite écrasent la vendange.

Et le pampre que l’ongle ou la morsure effrange
Rougit d’un noir raisin les gorges et les flancs
Où près des reins rayés luisent des ventres blancs
De léopards roulés dans la pourpre et la fange …
(3)

Groupés en val de Loire, ces Singuliers Vignerons qui revendiquent la préservation des sols par la viticulture biologique et biodynamique, représentent chacun une appellation de la région : Xavier Cailleau en Anjou, au château de Bois-Brinçon, Vincent Gaudry à Sancerre, Pierre et Rodolphe Gauthier à Bourgueil, Romain Guiberteau à Saumur, Joseph Landron en muscadet,Thierry Michon dans l’appellation Fiefs Vendéens, François Plouzeau en Touraine et Fritz Saumon à Montlouis, Philippe Tessier à Cheverny.

(1) Jim Harrison, Aventures d’un gourmand vagabond, p. 338, Ed. Christian Bourgois, Paris, 2002
(2) Critique, journaliste, conférencier, écrivain, Olivier Poussier a obtenu la distinction suprême de ‘Meilleur sommelier du monde’ en 2000.
(3) Jose-Maria de Heredia, Les Trophées, extrait de Bacchanale p. 27 in La Grèce et la Sicile, Librairie Alphonse Lemerre, 1947