DANIEL J BERGER

Une excursion en Turquie m’a permis de découvrir l’un des vins rouges les plus respectés dans ce pays, le Yakut, et une curiosité, le vin aux fruits, que nous boirons plus tard.
La Turquie est l’un des rares pays autosuffisant en matière d’agriculture et le quatrième producteur mondial de raisin. Pourtant la boisson alcoolisée populaire n’y est pas le vin mais le raki (prononcer raké), frère de l’ouzo grec, car plus de 95% des vignes sont utilisés pour le raisin de table et le raison sec dit « de Smyrne ».

Comme en Grèce, la viticulture turque s’est assoupie durant des siècles pendant la période ottomane. Elle n’a été réveillée qu’à l’avènement à la fin des années 20 du héros national Mustafa Kemal Atatürk, qui a favorisé la création d’un monopole vinicole d’Etat, récemment privatisé et modernisé. Le prix du vin est élevé, environ 15 €/b en moyenne, car taxé à 50%+.
Le Yakut kyrmyzy est le vin rouge le plus populaire de Turquie, l’un des plus chers aussi, compter 25-30 €. Mais il est bon, entre Languedoc et Côtes du Rhône, plus précisément entre Corbières et Cairanne. L’assemblage est fait de cépages autocthones, bogazkere et öküzgögü.
D’aspect rubis assez foncé, il est un peu épicé avec de légères touches tanniques, un parfum de cerise, mais sans beaucoup de longueur, cette longueur qui fait tant défaut aux Français quand il leur arrive de sortir de leur hexagone gustatif et mental.
La maison qui produit celui que nous avons goûté, Kavaklidere (« vallée de peupliers »), a été fondée dans les années 1930 et produit environ 150 000 hl/an dont 20% sont exportés.
On trouve du Yakut à Paris chez Gündes, 74 rue du Faubourg St Denis dans le 10ème ardt. Tél 01 4246 0604.

Ce 26 avril avait été une belle journée ensoleillée. C’était l’anniversaire de Bully. Nous avions marché longuement sur les grands pavés des rues antiques du site archéologique de Laodicée, remontant à 3000 ans avant JC, connu par l’Épître aux Colossiens et l’Apocalypse de Jean. C’est sans doute l’un des sites archéologiques plus extraordinaires, tant par son étendue et l’état remarquable des monuments sortis de terre et réassemblés, que par son potentiel puisque seulement dix pour cent des vestiges sont actuellement mis à jour. La progression des travaux est tellement rapide que les guides touristiques sont dépassés au moment de leur publication.

Puis nous nous étions rendus dans la province de Denizli, productrice de vins dont le Yakut, à Hierapolis, rebaptisé Pamukkale parce que le lieu ressemble à un champ de coton, ce à quoi peut faire penser la formation de gypse (ci-dessus) qui s’étend au pied du site archéologique (ci-dessous). C’est une zone thermale, traversées de ruisseaux d’eau chaude qui ont été canalisés, déposant des sédiments de gypse devenus une couche blanche éclatante comme de la neige, qui s’est épaissie avec le temps. Pamukkale est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

 

Nasreddine, le Turc légendaire
Après le dîner arrosé de Yakut vers 23h, seul dans la piscine thermale, nageant dans une eau à 37°, très douce, je me sentais si bien! M’est alors revenu en tête l’humour de Nasreddin Hodja, « le Turc légendaire qui fait rire et réfléchir tout le monde »…
Oh ! Fatima chérie, dit Nasreddin, la boisson te rend si belle !
Mais je n’ai rien bu, lui dit sa femme.
Bien sûr, rétorque Nasreddin, c’est moi qui ai bu.

Nasreddin

Nasreddine Hodja (gravure ci-contre) aurait vécu entre le VIIIème et le XVème siècle, sans qu’on ait de certitudes sur son existence réelle. Il est surnommé le « fou-sage » car ses histoires, contes, fables et aphorismes oscillant entre bêtise, provocation, malice et sagesse, jouant jusqu’au nonsense avec notre logique, laissent apparaître un villageois pittoresque, jamais pris au dépourvu, coffé d’un éternel turban, voyageant sur son âne ou à pied. Son univers flottant d’anecdotes à plusieurs sens est très connu dans le monde oriental et asiatique.

Personnage appartenant à des folklores divers, proche du Hershele Ostropoller juif, et de Boudha, Nasreddine Hodja est présenté tantôt comme un paysan pauvre ou un religieux, tantôt comme un sage vernaculaire ou parfois comme conseiller du tyrannique Tamerlan.

 

Il serait né à Akşehir en Turquie, au XIIIème siècle et c’est dans ce pays qu’il est le plus populaire, connu sous le nom de Nasreddine, Nasr Eddin ou Nasrudin, Hodja. Il est devenu personnage de bande dessinée et redessinée, apparaissant sur les emballages de produits de consommation, les yaourts par exemple.
Au Maghreb et en Egypte on le connaît sous le nom de Jeha, Joha, Jha, Djha, Djeha, Goha, en Asie centrale d’Appendi ou d’Effendi, et en Chine ou en Mongolie de Cha.

Derrière leur apparente absurdité, ses histoires courtes et drôles ont une grande profondeur et leur « gai savoir », antérieur de six siècles à celui de Nietzsche, prolonge la sagesse orientale, elle-même bien antérieure à la philosophie grecque.

Je termine avec l’histoire du voisin qui vient demander à Nasreddin de lui prêter sa corde à linge :
Je ne peux pas, je fais sécher de la farine.
De la farine ? Mais ça ne sèche pas sur une corde !
Quand je ne veux pas prêter ma corde à linge, j’arrive à faire sécher n’importe quoi.

Et encore celle-ci, que j’aime beaucoup : alors qu’il se promène habillé d’une djellaba bleue et jaune, deux pastèques sous le bras, il aperçoit devant lui un homme avec une djellaba bleue et jaune, deux pastèques sous le bras et se dit :
Ça doit être moi là-bas devant !
Il se met à courir dans sa direction, puis s’arrête net :
À quoi ça servirait de me rattraper ?