DANIEL J. BERGER

La progression globale de la viticulture bio, par exemple en France de 1,5% à près de 4% du total du vignoble national en trois ans, correspond aux attentes des consommateurs sur la « matière » des vins ces composants chimiques qu’on retrouve dans nos bouteilles en quantités toujours plus élevées. Car dans notre pays, la vigne consomme 20% des pesticides utilisés alors qu’elle ne couvre que 3% de la surface agricole, la plus étendue d’Europe.
Les vignerons bio refusent les désherbants, pesticides, engrais, produits phytosanitaires et autres intrants artificiels: leur label AB garantit qu’aucun produit de synthèse n’est utilisé, la protection de leurs vignobles se faisant uniquement avec des produits d’origine naturelle le soufre contre l’oïdium, le sulfate de cuivre contre le mildiou.

La Dive de Sylvie Augereau (1) s’est tenue cette année encore dans les fameux souterrains troglodytes du château de Brézé près de Saumur, concentrant quelque 150 vignerons bio et biodynamiques. Portraits de quelques autres « confirmés ».

CEUX DU ROUSSILLON : une petite Europe biobio.
Attirés par la tradition d’accueil de la région, entre les cimes (mont Canigou toujours enneigé visible de partout), les vallées de montagne (Agly, Têt, Heureuse, Tortues) la mer (Collioure…), et motivés par le prix abordable du foncier, ces  jeunes déjà confirmés sont venus « faire du vin en liberté » de nombreuses régions françaises comme d’Angleterre, du Mexique, d’Allemagne, Pays-Bas, Suède, Belgique, Afrique du Sud, Tchéquie — des pays où, il ne faut pas le cacher, certains sont repartis. En peu d’années, une véritable petite Europe biobio s’est constituée, dont l’identité est à la fois collective et indépendante, villageoise, libertaire, toujours inspirée.

« Mais il faut pas croire que la protection de l’environnement est une idée partagée, ni même encore admise. Et je parle pas que du bio – sur les 1 300 hectares de l’Appellation, on n’en compte que 150, enfin, ça progresse –, mais simplement de revenir aux pratiques des grands-parents, qui savaient (se) donner à leurs sols » remarque Loïc Roure (photo ci-dessous).

Commençons par son Domaine du possible à Lansac. Loïc Roure n’est pas aujourd’hui coiffé de son habituel pakol (béret afghan de Massoud). En « Jajakistan », comme il nomme son aire de production en attente permanente de l’improbable pluie, tout a l’air de rouler, la récolte 2010 n’est pas très abondante mais de qualité, le 2009 s’est bien vendu, on peut payer la maison. Goûtons d’abord du blanc brut de cuve, 70% macabeu, 30% carignan gris; puis un Tout bu or not tout bu (moi j’ai tout bu); et Herbe tendre, un effervescent timide à 11% alc. Ensuite les rouges: Charivari 2009 100% carignan; et un bon « vieux » C’est pas la mer à boire de 2006.

 

 

 

Déplaçons nous d’un tonneau pour parler à Axel Prüfer, domaine Le Temps des Cerises (8,5 ha).

L’homme a fui sa RDA natale pour venir à La Tour-sur-Orb faire des vins fruités, légers, incroyablement doux et subtils, appelés Les Lendemains qui chantent, grenache de 25 ans, en altitude; Pas de côté – merlot, aramon, carignan, cinsault – qu’il nous sert en magnum – doux, beau, en un mot « trop top ! »; ou Avanti Popolo, 100% de carignan sexagénaire; et ce Fou du Roi, carignan, grenache, cinsault avec parfois du cabernet sauvignon, selon les années, moins fort en gueule dans le verre que sur l’étiquette ci-contre.

À côté, rencontrons Philippe Wies, La Petite baigneuse à Maury, un ex-maraîcher qui veut « toujours rester dans la découverte », bien à l’aise sur le schiste.
Il nous sert un blanc Juste ciel 2009, grenache gris et macabeu (12 €); un rosé doux Plaît-il 2009, grenache (60%) et carignan (40%) (9 €); un rouge 2010 Les Trinquettes, 80% carignan et 20% grenache, bien équilibré entre l’acidité et la sucrosité; un rouge 2009 grenache avec 5% de syrah Les Loustics (12 €); un beau Grand Largue 2009, 60% lladoner-pelut (cépage catalan assez rare, similaire au grenache) et 40% carignan (14 €); et enfin son Maury, 100% grenache, un vin doux naturel ou, comme son nom ne l’indique pas, « muté », càd auquel on ajoute de l’alcool à un moment donné de la fermentation, comme à Rasteau ou à Banyuls par exemple, et bien sûr à Porto ou Madeire (22 €).

Edouard Laffitte, Le Bout du monde, venu d’une coopérative du Gard, celle d’Estézargues, en a racheté une désaffectée dans cette pépinière à vignerons (sur)doués de la vallée de l’Agly, à Montmer. Le temps, le tempo comptent pour cet homme, comme l’attestent ses titres — comment en effet appeler autrement les noms évocateurs et inspirés que chacun d’eux donne à ses vins ?

On commence par un 100% carignan vieux (photo ci-dessus) Avec le temps 2009; on suit avec l’Échappée belle 2010, 80% carignan, 15% grenache, 5% syrah; on enchaîne sur Tam Tam 2010, 100% syrah, très jolie la syrah du Roussillon comparée à celle du Rhône; on continue avec le Hop’ là 2010, 80% grenache 20% syrah, auqeul je mets *** sans hésiter; on conclut par L’Écume des jours 2010, 40% carignan, 40% grenache, 20% syrah.
Edouard Laffitte produit de la gourmandise — son fruit sent le sol –, et du frais dû notamment à la macération carbonique en grappes entières.

À SUIVRE : LES « EXPÉRIMENTÉS » Hegoburu à Jurançon, Issaly à Gaillac, Dutheil de la Rochère à Bandol, le château de Brézé et Thierry Germain en Anjou…

(1) Créatrice avec Catherine Breton, productrice de St Nicolas de Bourgueil, de ce salon LA DIVE précurseur du biobio : voir son Carnet de vigne Omnivore 2ème cuvée, Editions Hachette Pratique, un guide des vins français nature « 100% raisin« , qui répertorie quelque 400 vignerons bio dont la moitié en Val de Loire.