DANIEL J. BERGER
En trois ans, la conversion en bio est passée en France de 1,5% à près de 4% de la superficie totale du vignoble national, de 28 000 à plus de 40 000 ha aujourd’hui – dont 60% en Languedoc, Rhône et Provence. Cette progression traduit les attentes des consommateurs concernant la teneur des vins en composants chimiques, et il y en a de plus en plus. Les vignerons bio contrôlent les intrants artificiels; les biodynamistes n’en admettent pas.

Créé il y a une douzaine d’années par Catherine Breton de Restigné (Bourgueil) et par son actuelle animatrice, Sylvie Augereau, le rassemblement La Dive s’est pour le 2ème fois tenu dans les impressionnants sous-sols troglodytes du château de Brézé près de Saumur, rassemblant 150 vignerons bio et biodynamiques (dont 1/3 des Pays de Loire), en général caractérisés par la sincérité (auteurs), le courage (bosseurs), la lucidité (sereins, voyant loin) et aussi pas mal de folie.

Visite et rencontres.

ASPIRANTS

Patrick Rols, de Conques (entre Clermont-Ferrand et Rodez), « un coin d’Aveyron fait pour l’œnotouristisme, il faut venir!« , nous présente deux chardonnay « naturels » 2009 et 2010, où le goût de raisin joue l’arlésienne. Puis un autre chenin 2009 sorti avec prudence de sous le tonneau qui lui sert, comme aux autres exposants, de présentoir, oui un chenin mais sans beaucoup de parenté avec celui de Loire omniprésent ici. Puis différents rouges d’assemblages — cabernets, syrah, merlot. Convaincu que son « vin conquois » a toutes les chances d’attirer les touristes, Patrick Rols a laissé tomber son job à la chambre d’agriculture et mis toutes ses économies dans ces 6 ha de vignes.

Sylvain Martinez, de Martigné-Briand, entre schiste de l’Anjou Noir et tuffeau de l’Anjou Blanc. 2 ha labourés au cheval, « cultivés en harmonie avec la nature » comme dit l’étiquette. Rien que de l’artisanal, pas de filtration, les jus en bouteille « sortie de tonneau » sont troubles : un chenin 2099 sec « Goutte d’O », du fruit pur (10 €); un 2008, grandi, moins flatteur, évoquant un vin sous voile (12 €); enfin, un frisant dont on n’arrive pas à savoir s’il a vocation à devenir tranquille ou pétillant (8 €).

Sylvain Martinez est l’un des nombreux aspirants au « naturel », disciples ligériens de Mark Angéli, entre autres Pascal Potaire (vallée du Cher), Nicolas Bertin (Layon), Antoine Foucault (Saumur), les frères Puzelat (Cheverny), Reynald Héaulé (Orléans), et les Courtois (Sologne), Simonutti (Touraine) ou Marula (Chinon) — légions de jeunes vignerons de ces nouveaux « vins de table » (hors AOC) originaux, stylés, inattendus, qui vont devenir brigades, bataillons, divisions —, pragmatiques et lucides sur leurs possibilités (ils font souvent tout par eux-mêmes), assez solitaires, à la fois poètes et artistes, et techniciens rarement démunis devant la nature.

ADOUBÉS

Après les libertaires du Roussillon, voici les libérés de l’Ardèche, souvent des ex-coopérateurs (Valvignères, Montfleurie) qui ont leurs idées, leurs doutes et leurs certitudes et ont décidé l’un après l’autre de sortir à l’air libre, désormais adoubés par la communauté biobio.

Jérôme Jouret, Les Clapas à Villeneuve de Berg, fait son vin depuis 2006, il a 12 ha sur un sol argilo-calcaire, des vignes de 25 à 50 ans, et produit moitié rouge, moitié blanc. Son rouge 2010 – carignan, 70%, alicante 25 %, grenache 5% – vous met du fruit plein le nez (vinifié en grains entiers), une structure mordante et un gourmand immédiat en bouche, et une grosse envie de le boire à pleine gorge. Sûr de lui il a pourtant nommé celui-là « En avant doute », et les autres « Pas à pas », ou « La Chasse aux papillons ».

Gérald Oustric, Le Mazel, 30 ha à Valvignières, ancien président de la Coopérative, 47 ans, l’un des tout premiers en Ardèche à avoir abandonné le soufre – « vinifier sans soufre, c’est aller au-delà de ses peurs » lui soufflait Gilles Azzoni (ci-dessous) –, nous verse sa cuvée « Les Charbonnières » 2008, chardonnay 100% (« rien que du raisin ! ») ; puis un juteux grenache blanc-chardonnay, frais et lumineux. En rouge, sa « cuvée Briand » 2009, grenache 100%, a un étonnant nez de champignon et de sous-bois et une bouche langoureuse; sa « cuvée Larmande », 100% syrah, prouve que l’élégance peut sortir de la terre.
Il nous invite à la grande fête des vignerons du 3 août autour de Valvignières.

Gilles Azzoni, Mas de la Bégude, 6 ha à St-Maurice d’Ibie, l’Ange, le mentor des allumés, le grand sachem qui a tracé le chemin à la tribu bio ardéchoise dont il voit les rangs grossir. Ce chemin, c’est celui du pasteur qui accompagne ses vignes pour favoriser « l’expression du vivant » sans chercher à les dominer. Il aime parler, raconter, transmettre expérience et savoir, c’est lui qu’on boit autant que sa bouteille. Il aime aussi l’écrire. Et se laisser portraiturer punk rock.

Dégustation de ses vins.
— D’abord un blanc 2009 d’une belle fraîcheur (celle qu’Azzoni recherche obstinément dans ce pays de chaleur diurne et de basses températures nocturnes), et dont les arômes de fruit et de fleur sont très variés et difficile à identifier, car assemblé de 7 cépages : viognier, roussanne, marsanne, ugni blanc, grenache, muscat à petits grains, petit manseng.
— Puis « Fable » 2009, syrah 60%, merlot 30%, alicante 10%, qui « raconte le paysage » comme dit Sylvie Augereau.
— Et « Hommage (à Robert) » 2010, 60% syrah, colonne vertébrale de ses rouges, 40% grenache. Il interroge : « on change d’étiquette chaque année, pourquoi le vin ne changerait-il pas aussi chaque année ? ».
— Ensuite « Brân » (le corbeau), 40% merlot, 30% CS, 20% grenache.
— Enfin « Fable » 2010, 70% syrah, 30% grenache, les deux principaux cépages de cette terre rouge argilo-calcaire peu profonde, plantée une partie en coteaux, une autre au bord de la rivière Ibie. Ses vins sont vendus autour de 7 €.

DONNÉES TECHNIQUES pouvant expliquer pourquoi les vins de Gilles Azzoni atteignent une telle amplitude aromatique, légers plus qu’alcooleux, terriens voyant le ciel, structurés mais digestes :
– une densité de 5 500 pieds (4 000 en moyenne dans la région), portant moins de raisin et donc plus qualitatif.
– Aucun produit chimique sauf la bouillie bordelaise et le soufre.
– Seules levures indigènes : celles contenues dans la pruine (poudre blanche déposée sur la peau des grains).
– Pas de filtration, ni de collage, et bien sûr pas de flash pasteurisation ni d’osmose inverse (séparation de fluides par filtration permettant, par la concentration des moûts, d’augmenter le degré alcoolique, une alternative à la chaptalisation).
À SUIVRE…