GUY LAÎNÉ

GUY LAÎNÉHey! les mecs, j’ai représenté ‘Mtonvin’ fin mars à un événement unique en France : le Palais Gourmand de Perpignan ! Dans mon assiette toute l’offre gastronomique du Roussillon, dans mon verre tous leurs vins.
Une initiative de la CCI et des Pyrénées Orientales (66, comme la Route de Nat King Cole), mise en œuvre avec les Toques Blanches du Roussillon — 50 des meilleurs chefs tenant un restaurant dans le 66, qui s’impliquent dur « dans la mutation que vit aujourd’hui le monde de l’alimentation », qui se tirent la bourre pour renouveler la cuisine catalane.
Ça valait le coup les mecs ! 2 000 personnes naviguaient sans bousculade dans un immense self-service de luxe, 50 € vins compris !
Revue de détail.

Il y avait sous le dôme du palais des congrès (ci-dessous), quinze grandes tablées, chacune avec entrées (11 en tout,) poissons (10 plats), viandes (9) et desserts (9 aussi), et trois stands : charcuteries, fromages et autres produits « de terroir » et, en invitée, la cuisine polonaise (le chou farci, on oublie, les mecs !). On aurait pu perdre le cap, eh non, il y avait toujours une place dans le port (et je sais de quoi je parle). Mais je vais pas énumérer mes expériences ni de marin (cuisine à bord, forcément), ni de gastronome ce soir-là, enfin pas en entier, car j’ai goûté presque tout.

palais des congrès

Ce qui m’a frappé c’est l’intelligence et l’adresse des alliances mets/vins : c’étaient les chefs qui avaient choisi eux-mêmes leur vigneron. Et la fraîcheur des produits. Aussi la taille des portions, ni trop ni trop peu, qui nous laissait toujours en appétit. Enfin la sympathie des intervenants, chefs comme vignerons, et la tenue de l’ensemble.

J’ai commencé en apéritif par un blanc de Collioure 2008, assemblage grenache et vermentino, du domaine St Sébastien, sur un pâté de lapin au banyuls de la maison Xifre à Sahorre (04 6805 5109) — hey, j’en ai rapporté trois ! — et des tas de super saucissons de la Guilde des charcutiers catalans.

En entrées, sur les calmars farcis servis avec un suc de crustacés au chocolat, préparés par le Lycée des métiers de la restauration de Perpignan, j’ai beaucoup apprécié le blanc Isa Dora de Jolly Ferriol (à Espirra de l’Agly, 04 6862 0896).

J’ajouterai les cheese cakes, artichaut et langoustine aux noix de Thierry Lesage, des Jardins du cèdre à Port Vendres, servis sur un un vin de pays des côtes catalanes rosé Terres Nouvelles (grenache gris), récolté au-dessus de Saint-Paul-de-
Fenouillet sur de petits terroirs assez frais; et un blanc à 90 % viognier, oui ! (et 7 % sauvignon, et 3% muscat) de La Préceptorie de Centernach, connue pour sa tradition patronale octroyant leur part de récolte aux ouvriers et vendangeurs (Vincent Legrand à St-Arnac, 04 6859 2674).

Il y avait aussi un romesco de Saint-Jacques aux fèves les mecs, hey, je vous dis pas le supplice ! concocté par Nicolas Bénézis de La Senyera à Villefranche-de-Conflent, encore aggravé par un blanc du domaine Laguerre à St-Martin-de-Fenouillet, assemblant grenache blanc, roussane, marsanne (je savais pas que ces cépages existaient aussi en blanc, les mêmes que ceux de l’Hermitage rouge ?), macabeu et vermentino : le paradis pour 12 € !Joep Graller

Je peux ne pas vous parler du domaine des 3 Oris dont j’ai adoré le rosé Alfe 2007 de Joep Graller (à droite), un Hollandais établi depuis une quinzaine d’années dans la vallée de l’Agly, à Tarerach (04 6805 2919), et qui a l’air comblé par ce rosé de saignée à base de grenache (tout petit rendement de 15 hl/ha), qui se mariait sans arrière-pensée avec la verrine d’escalivada aux anchois accompagnée d’un pà amb tomaquet (pain croquant frotté d’ail et de tomate avec un filet d’huile d’olive, mmm…!) de Julien Blaya, de l’Auberge de Sournia à Sournia.

C’est à ce moment-là alors que je commençais à me sentir bien, que j’ai croisé le président des Toques Blanches, maître cuisinier de France, qui répond au nom bien local de Plouzennec, Jean, breton d’ascendance lointaine comme je le suis d’adoption, et qui m’a accueilli, sourire du dimanche et soleil plein la bouche, précisant les termes de la charte de son association (*). Il présentait un dessert (voir plus bas) élaboré dans son restaurant Le Cedrat route du Perthus au Boulou. Il a publié un très beau livre de recettes qui nous a été remis gracieusement, c’est sympa. (**)

Olivier PithonChapitre poissons, j’ai été cueilli sans peine par la bullinada de cigale de mer servie avec un bouillon de roche au safran  (Jean-Paul Hartmann, L’Almandin à St Cyprien Plage), sur un rouge 2008 d’Olivier Pithon (à doite) assemblé à 80% de grenache et carignan ajouté de mourvèdre et syrah (Olivier est le petit frère de Jo, le colosse du Layon à St Lambert-du-Lattay), une combinaison totalement décoiffante : venez essayer ! Jean-Paul Hartmann, alsacien, maître cuisinier de France formé chez les Gaston Lenôtre, Michel Guérard, Hans Sucki… , installé depuis vingt ans en Roussillon, nous a dédicacés son livre de recettes publié en 2008 (***).

Et par le chaud-froid de merlu aux agrumes (Bernard Delcher, La Passerelle, Perpignan), avantageant un beau blanc vieilles vignes 2008 (grenache blanc), le VdP Clos des fées d’Hervé Bizeul (18 € les mecs !).

Last but nos least, le filet de sole vapeur « sur son nid de papaye verte » de Thone Lovan (Le Dragon à Perpignan), dont la finesse et la douceur quasiment érotiques expliquaient sans doute la queue ininterrompue devant cette tablée, car la chair légère de la sole se mélangeait tout en souplesse et retenue (si j’ose dire) avec L’Effrontée (décidément), une cuvée spéciale de blanc 2007 de grenache gris et macabeu, du domaine de Vénus (et ça continue !) (Nathalie Abet à St Paul de Fenouillet, 04 6859 1881). Et… tout était consommé, les mecs !

En viandes, j’ai beaucoup appris, notamment avec la noisette de lapereau aux calmars à la crème d’ail de Michel Vedrines (Villa Duflot à Perpignan) servi avec un blanc 2008 de l’autre côté de la frontière, du domaine Terra Remota à Sant Clement Sescebes (assemblage inédit de chardonnay, grenache blanc et chenin), planté en 2003 sur sol granitique (13° et 16 €).

Avec Frédéric Bacquié (La Balette à Collioure) et son râble de lapin Rossini allié à un superbe Collioure rouge Les Esparades 2001, assemblé de 80% de grenache, 10% de carignan et 10% de syrah par Olivier Saperas à Banyuls, à 15 € (04 6888 1345).

Et enfin avec la fricassée de veau ail et citron façon tajine et croustillant aux épices, élaboré par le centre de formation d’apprentis de la CCI, accompagné d’un très beau blanc 2008 du château Planères issu de cette malvoisie qui allait disparaître du Roussillon et que les familles Jaubert et Noury, sans écouter les rabat joie ni les plaintifs, ont replantée à partir de 1981. Avec un rendement mesuré de 30 hl/ha, ils savent aujourd’hui obtenir un vrai sec, noble, authentique, qu’ils bâtonnent à la main et vinifient en barrique. Ils ont aussi planté un cépage dérivé de la malvoisie et tout aussi difficile, le tourbat, qui maintient une bonne acidité dans ces pays très ensoleillés et donne des vins assez aromatiques.

J’avais rendez-vous au bar pour faire le point avec nos « guides » (photo de Nadine page suivante) (je dis pas « hôtesses », il y pourrait y avoir confusion) et j’ai pu bavarder avec le DG de la CCI qui m’a tout dit sur la « stratégie qualitative » des têtes pensantes du tourisme du 66, tout ! J’étais un peu dans l’euphorie il faut le dire, c’était intéressant et je gobais, notamment que le retour sur investissement de ce type de manifestation, subventionnée pour une grosse moitié par la CCI, semble assuré.

Aux desserts, après quelques morceaux de crottin, de pavés cendrés, de tommes et fromatgets au miel… j’ai commencé, à tout seigneur tout honneur, par celui de l’immigré breton Jean Plouzenec, un transparent de fenouil et fraise, croustillant aux amandes et tuiles au cédrat, accompagné d’un muscat de Rivesaltes du domaine Piquemal. J’ai continué à l’aise avec un schiste de Montner, chocolat-caramel-praliné et réduction de Rivesaltes signé Paul-Louis Martin de l’Auberge du Cellier à Montner, servi avec le muscat de Rivesaltes « grenat » 2003 du domaine Comelade.

Comme il fallait bien finir, j’ai caboté jusqu’au château Planères goûter leur crémant, absolument original, moëlleux avec une belle acidité, sans trop de mousse, un peu mentholé avec des notes de noisette, et une belle longueur qui m’a accompagné vers la sortie jusqu’à ce que je retrouve le camarade Thierry Morvan (ci-dessous, en plein boulot), qui discutait ferme avec un aficionado local très accroché au rancio sec, que Thierry lui-même chérit jusqu’à la déraison. Pourtant, il en parle pas dans son bouquin, titré tout simplement Le Vin (Hachette Pratique), péché mignon qui doit sans doute rester tu.Thierry Morvan

 

Nadine RomieuEn conclusion, en plus de cette belle gastronomie expérimentale et de l’inventivité stupéfiante des vignerons du Roussillon qui se retrouvent ici venant de toute l’Europe, pour être libres, tenter tout et son contraire et se sentir heureux de le faire, j’ai apprécié la dynamique qu’ont créée ensemble la Chambre de commerce et l’Office de tourisme — ce n’est pas le cas dans tous les départements —, concrétisées notamment par le sens de l’accueil et les compétences partagées de nos « guides », les attachées de presse Martine Caudine et Pascale Gimenez (département), et Nadine Romieu (ci-contre), et sa dircom Dominique Sors (CCI) chargée de l’animation de cette mostra 5ème édition, très maîtrisée.

Ce que je retiens, c’est que pour atteindre l’objectif d’une montée qualitative du tourisme en Pyrénées-Orientales, la gastronomie et le vin se révèlent des moteurs fondamentaux : la coopération des Toques Blanches et des vignerons est une réussite, elle trace une voie (Route 66 !) pour visiter le Roussillon, pays à la fois d’altitude, de vallées de montagne et de littoral tout en courbes. Ce label Toques Blanches qui intègre à ses menus 80% de produits du terroir, condition sine qua non, pourrait/devrait montrer l’exemple à d’autres régions touristiques de cette France étoilée du Michelin que je trouve de plus en plus médiocre dans sa restauration.

Mon point de vue de bourlingueur est qu’en soignant l’accueil, en s’appuyant sur le qualitatif, en démontrant que les cuisiniers et les vignerons sont gens de culture et de passion, la France des régions augmente ses chances de retenir les étrangers qui ont pour seule intention de transiter sur notre territoire avant d’aller séjourner chez nos voisins plus accueillants.

Vous me suivez ?  (à suivre, alors)

* La Charte de l’association Les Toques Blanches qui revendique un esprit fédérateur fondé sur l’entraide et la solidarité, requiert trois conditions : 80% de produits du terroir au menu des restaurants tenus par les chefs membres; être chef de cuisine depuis 5 ans et disposer d’une brigade;  former des apprentis jusqu’à la maîtrise.

** Jean Plouzennec, Faire chanter la cuisine du Roussillon, édité à compte d’auteur, 4 rue de Verdi, 66750 St-Cyprien.

*** Jean-Paul Hartmann, Ma cuisine du Sud, publié à compte d’auteur, L’Île de la Lagune, Bd de l’Almandin, 66750 St-Cyprien.