DENIS GROZDANOVITCH

Nous relayons avec plaisir le délicieux billet de Denis Grozdanovitch « hédoniste curieux de tout, rêveur épicurien » dégustant un Cos d’Estournel.

Dans un petit opus goûteux, Minuscules extases (Nil Editeur), « qui conte un monde de bien-vivre », et se remémore le goût de ce vin dont il tait l’année « d’une telle spiritueuse spiritualité ».

Grande finesse analytique d’impressions demeurées intactes, celles que seuls procurent les très grands vins, mais qu’il est si difficile de faire remonter du profond de la mémoire par les mots.
«… une sorte de sourde joie indicible s’emparait cos-destourneljp11 de moi, je commençai de trouver une qualité qualité exceptionnelle à cette soirée improvisée et je vis que mes deux camarades étaient à l’unisson de cette croissante félicité. L’ébriété qui nous avait saisis n’était en rien cette franche gaieté qui précède l’ivresse, mais plutôt, s’il était possible de le formuler ainsi, un discret bonheur à exister, sans autre forme de procédure. La conversation se révéla d’une douceur poétique inusitée et l’habituelle pudeur à deviser des choses les plus simples dissipée.

Les verres succédant aux verres, nous ne sombrions nullement, en effet, dans la grosse torpeur bachique à laquelle nous avaient habitués nos libations habituelles. Nous osâmes évoquer des détails supposément insignifiants que seule d’ordinaire la confession littéraire permet d’aborder. 

Nous évoquions avec délectation tous ces mouvements infimes et irremplaçables dont sont tissés les circonstances et, plus amplement, nous sembla-t-il alors, la réalité effective du monde : la qualité spécifique de la lumière, par exemple, qui, filtrant ce jour-là à travers les nuages venait animer les briques du mur d’en face, la teneur de l’atmosphère printanière, le bonheur à simplement sentir palpiter en nous la discrète et silencieuse santé, le goût des aliments que nous grignotions, le regard interloqué et comique du chat nous observant assis sur la commode…

Mais à chaque instant nous ne ressentîmes le moindre désir d’engager l’une de nos coutumières controverses idéologiques et esthétiques, comme si cette funeste initiative eût – nous ne le sentions que trop bien – gâché le moment de discrète euphorie qui nous était accordé par la grâce de la plus civilisée des alchimies humaines : le savoir-faire ancestral d’un grand viticulteur… »

Denis Grozdanovitch, Minuscules extases (Nil Editeur).
Les bouteilles de Cos d’Estournel dont parle D. Grozdanovitch sont sorties d’une caisse gagnée par lui à un tournoi de tennis à Bordeaux. Pour cet auteur, le tennis s’apparente à de « la pure extase ludique ».
On peut lire sur le sujet son De l’art de prendre la balle au bond, Précis de mécanique gestuelle et spirituelle aux éditions J. C. Lattès, 2007, 340 p.