DANIEL J. BERGER
Oui patience, ça ne fait qu’une trentaine d’années qu’Israël fait des vins qui ont de l’ambition.
La récente présentation à Paris d’un panel des meilleures productions hébraïques nous a sensibilisés à certains points: l’invocation implicite d’une culture du vin perdue depuis 12 siècles; la jeunesse du vignoble et de l’activisme vitivinicole israéliens contemporains; un style globalement « cosmopolite », entre Nouveau Monde et Europe.
UN VIGNOBLE RESSUSCITÉ DONT L’HISTOIRE EST À VENIR
Quel vin buvait-on sur les « lieux bibliques » (1 500 – 500 avant J. C.) ? D’après les historiens et archéologues, le jus du raisin fermenté était miellé et épicé (anis, cumin, thym), et coupé d’eau comme c’était l’usage, qui a duré jusqu’au XXème siècle. Et peut-être additionné de résine pour éviter qu’il tourne au vinaigre, pratique remontant aux Égyptiens, qui a donné le retsina grec. D’autres conservateurs pouvaient être ajoutés comme le fenugrec, graine au parfum de musc (genre « Bouillon Kub » Maggi), l’eau de mer, le plâtre. La technique du voile était connue, la même que celle utilisée de nos jours dans la région de Jerez ou dans le Jura pour le vin jaune.
On pense qu’il existait en Palestine une hiérarchie des crus (une dizaine), comme dans l’ensemble du bassin méditerranéen. Sans pouvoir être précis sur sa couleur, on croit qu’il était plutôt rouge et peut-être aussi blanc et rosé. Selon J-R Pitte, le dernier vin des noces de Cana était meilleur que celui de Campanie connu depuis l’antiquité (8). On ne sait pas s’il était consommé aux repas ou après, le soir, comme chez les Grecs ou les Romains. Il était certainement cacher (9), c-à-d qu’aucun non juif ne touchait ni aux raisins ni aux instruments de sa fabrication
Les Juifs qui s’installent en Palestine au XIXème siècle trouvent de nombreuses vignes, mais la plupart destinées au raisin sec et de table, et peu au vin sauf en Judée, notamment le blanc de Bethléem. La viticulture n’a vraiment démarré que dans les années 1880 avec l’arrivée des premiers sionistes, et l’implantation des ceps du baron Edmond de Rothschild, propriétaire du château Lafite, le hanadiv (« bienfaiteur ») qui crée un vignoble sur le littoral à Rishon le Zion (ci-dessous) et un autre à Zichron Ya’acov en Samarie au sud de Haïfa, dont les vins seront commercialisés sous le nom actuel de Carmel, 1ère entreprise vinicole d’Israël (env. 15 Mb/an). Jusqu’à une époque récente, 1970-80, le vin israélien était plus apprécié pour la garantie cacheroute que pour ses qualités intrinsèques. Les choses ont bien changé.
Le vin cacher (« pur ») est consommé plus largement aujourd’hui que par les seuls pratiquants, changement symbolique,et peut donc être sec et non plus seulement doux comme aux cérémonies religieuses — même si le préféré de la population israélienne est un 1/2 sec (ou 1/2 doux, comme on veut, issu du cépage « local » Emerald Riesling) et que son goût traditionnel pour le vin sucré n’a sans doute pas disparu. Dans les années 90, les Israéliens ont commencé à apprécier le vin de qualité, le marché à se développer (consommation domestique x 2 en 20 ans, à environ 7 l/hab/an, exportations environ 25%+ de la production nationale), des cavistes et boutiques, académie, écoles et facultés d’œnologie (Rehovot, Tel-Hai) et magazines spécialisés à se créer.
Du mythe antique au miracle contemporain. Après une longue parenthèse, le vin est passé du mythe de l’époque biblique au miracle israélien du XXème siècle dans la ligne des kibboutz héroïques, car ce vignoble régional s’est créé sans tradition ni savoir faire, sur un terrain parfois dénué des caractéristiques nécessaires et des terroirs arides comme dans le Néguev, où l’irrigation a été remarquablement maîtrisée (ne le disait-on pas déjà dans les années 50 à la réussite des plantations fruitières ?), avec seulement deux saisons, sous un climat inégal mais relativement clément.
Les terroirs varient du calcaire déposé au fonds des lacs, des marnes des vallées et des dolomites des plateaux, à la glaise et au loess recouvert de sables alluviaux au Néguev, et au basalte et tuf comme en Galilée.
En Galilée, dont la devise est « Bienheureux les pacifiques », la vigne a été plantée sur le plateau du Golan annexé après la guerre du Kippour, le long de la frontière avec la Syrie, après avoir débarrassé le sol des milliers de têtes d’obus (vins Pelter au kibboutz Ein Zivan, env. 70 000 b; et les célèbres Golan Heights — Caves du Golan, env. 6 Mb de marques Yarden, Gamla, Golan).
Carte ci-contre : vignobles promus par l’Institut Israëlien d’Exportation et de Coopération Internationale, dont 18 vins ont été présentés le 18.01.10 à l’OIV à Paris
Israël compte aujourd’hui 4 300 hectares de vignobles (10) et 200 chais et sociétés de production (11), répartis dans cinq régions — Galil (Galilée, au N j> frontière libanaise, altitude — Mt Hermon, le Golan —volcanique); Shomron (Samarie: Mt Carmel et collines de Samarie, climat méditerranéen, calcaire); Shimshon (Samson: collines de Jérusalem); Harey Yehuda (Collines de Judée: de Jérusalem j> forêt de Yatir); et Hanegev (Néguev: désertique semi-aride, sable et argile, forts écarts de t° nuit-jour). La production a été en 2009 de 45 000 T de raisin et 54 Mb (12). Les exploitations sont des coopératives (moshavim), des entreprises collectives (kibboutzim), ou des propriétés privées, qui peuvent acheter le raisin hors de leur exploitation comme cela se pratique en Champagne par exemple. Bien que situé hors de l’UE, Israël applique la réglementation européenne. La mention d’un cépage indique qu’il entre au minimum à 85% dans la composition du vin.
Pas de cépage indigène. On pourrait quand même considérer comme tels trois variétés :
— le riesling emerald, un croisement riesling/muscadelle développé à l’université Davis de Californie par le professeur Harold Omo pour les pays chauds comme l’Afrique du sud ou quelques régions des USA : c’est en Israël qu’il s’est le mieux adapté, donnant le vin préféré de la population, un 1/2 sec à servir sur bien des plats — le muscat d’Alexandrie (vins de dessert);
— l’argaman, croisement carignan/souzào développé localement par le professeur Roy Spiegel.
Ce sont les cépages internationaux qui sont cultivés en majorité — CS et M (13) en rouge depuis les années 60, et sauvignon chardonnay en blanc depuis les années 80; et la syrah, cultivée depuis quelques années de façon intensive. Les gewürztraminer, riesling, viognier, CF, PN, PV, SGV ont été plantés et seront bientôt suivis des malbec, niebbolo, tempranillo, grenache... Le carignan implanté ici parmi les premiers cépages et un peu oublié ensuite, est en cours de réhabilitation, perçu comme « local » et prometteur d’une contribution à l’identité vitivinicole israélienne en cours de façonnement. Verra-t-on un jour naître un véritable cépage israélien ?
Le jeune vignoble contemporain d’Israël, qui ne peut encore bénéficier d’un retour d’expérience globalement supérieur à deux générations, se trouve donc dans une phase prémature, d’adolescence, pionnière, encore au stade de l’expérimentation sur les assemblages, les options aromatiques, la garde, le style et pour tout dire, est toujours en recherche d’identité.
À SUIVRE …