DANIEL J. BERGER

Jacques Vivet a été l’un des premiers à Paris à enseigner la dégustation du vin.
Inspirant des concurrents nombreux tentant de surfer sur la mode du vin et qui pour beaucoup disparaissent, son école poursuit sa mission avec conviction, régularité et résultats.

Discret, passionné, sympathique, attaché au Val de Loire, l’homme poursuit sa quête sans fin à travers les vignobles de France et de par le monde. Il répond à trois questions posées à l’issue du cours qu’une douzaine d’entre nous avons suivi sous son magistère en mai juin-juin 2009 (*).

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Jacques Vivet en action sur un Sancerre

Question 1 Qu’est-ce qui vous a amené à choisir l’initiation au vin pour métier ?

Jacques Vivet Le vin me passionne depuis que j’ai 18 ans, l’âge de mes premiers coups de foudre dans la cave familiale et dans celles des amis. Mais franchement en faire mon métier me paraissait inimaginable parce que pas suffisamment sérieux, et de plus cela comportait un risque : celui qu’en devenant une profession, la passion et le plaisir disparaissent. Pour rassurer mes parents, j’ai poursuivi Sciences Eco, tout en suivant en parallèle des études d’œnologie à Dijon, où j’entretenais des contacts avec le professeur Bergeret, alors directeur des études. Je passais mes vacances d’étudiant à déguster, en changeant de région à chaque récolte en découvrant toutes les richesses aromatiques sur le terrain chez les viticulteurs, chez des négociants : dégustation, dégustation et encore dégustation, de 10h du matin à 10h du soir. Lors de mes stages de fin de sciences éco dans la banque et l’assurance, je me suis dit : « la vie de bureau c’est pas ton truc, la hiérarchie non plus », en suivant la voie du bon docteur Rabelais « fais ce que voudras » et… j’ai opté pour ma passion.

J’ai commencé par éditer un catalogue de crus « coups de foudre » sélectionnés dans les régions que je parcourais – Bourgogne, Bordeaux, Touraine, Côtes du Rhône, Champagne, Languedoc… —, en allant les faire déguster aux clients, surtout des comités d’entreprise (aujourd’hui ce ne serait plus autorisé). Bien plus que la vente, c’est la dégustation qui me passionnait.

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Un jour, des clients, de la Société Nationale des Poudres et Explosifs je me souviens, m’ont demandé si je voulais leur apprendre. En acceptant sur le champ, je ne supposais pas un seul instant que je m’embarquais dans une aventure définitive, et que j’avais trouvé ma voie.
Peu à peu, je me suis consacré exclusivement à l’enseignement, l’initiation, le partage avec des amateurs, avec la complicité de quelques producteurs. Et ça dure depuis le début des années 80.

À l’époque, nous étions trois à Paris  en tout et pour tout :
Steven Spurrier aux Caves de la  Madeleine, qui s’adressait au public anglo-saxon de Paris. Il a ensuite formé des gens comme Michel Bettane, Thierry Desseauve ou Isabelle Bachelard, qui a d’ailleurs pris sa suite;
Alain Ségelle;
et moi, qui ai débuté dans une salle prêtée par la mairie du VIème arrondissement, pleine à chaque séance.

« Déconcertant ce Sancerre… il n’a vraiment rien à raconter ! »

L’initiation à la dégustation était dans l’air du temps, c’étaient les années Gau & Millau, la demande était forte et l’offre réduite. J’ai créé le Centre de dégustation Jacques Vivet à mon idée, sans copier personne, il n’y avait pas eu de précédent. Puis la pratique s’est généralisée, sur le lieu de vente, chez les cavistes, aux foires aux vins, etc. Moi, je continue à former 500 élèves par an en moyenne, à la fois au Centre et en entreprise, soit au total environ 15 000 depuis mes débuts.

Q 2 La dégustation faite par un acheteur, celle d’un critique, d’un juré de concours ou d’un professeur, celle que vous organisez pour vos élèves ou encore la dégustation entre amis, ce sont des exercices différents, non ? Bourdieu aurait pu dire « D’où dégustes-tu ? »

J. V. — Chaque type de dégustation a son cahier des charges propre et les techniques varient selon sa finalité. La fiche informatique Onivins est adaptée à un usage international tant pour les jurés que pour les vins. Les contrôles qualité des œnologues reproduisent des expertises précises et techniques pour débusquer le moindre défaut. L’acheteur, lui, goûtera avec une idée précise d’un prix à ne pas dépasser pour un vin commercial, càd qui plaira. Les dégustations dans mon école où chacun cherche à décrire ses propres sensations, ont pour but de développer la performance des dégustateurs celle de leur mémoire pour retenir les cépages et les terroirs par exemple, et celle de leur imagination pour envisager les mets qui conviendront le mieux avec le vin an question. Mais la vraie question n’est-elle pas la suivante : le vin que je goûte a-t-il une histoire a raconter — par exemple l’histoire de son terroir, ou celle de l’homme de l’art ? Un vin qui reste muet est inutile : oublions-le et passons rapidement au suivant.

Le Centre de dégustation Jacques Vivet a pour vocation de faire comprendre les éléments de base, terroir et cépages notamment, mais surtout d’aider les participants à déguster librement, avec ce que j’appelle une attitude SIP SAP (Sans-Idée-Préconçue, Sans A-Priori). Le plus difficile pour eux c’est précisément l’acquisition de cette liberté.

À nos débuts, nous avions une clientèle à 60% étrangère, japonaise surtout. Les Français se sentaient peu concernés, ils pensaient connaître le vin naturellement, parce que nés Français. Jusque dans les années 50, le catalogue Nicolas n’a proposé qu’une offre très limitée géographiquement : Bordeaux, Bourgogne, Champagne, Porto, peut-être un coteaux du Layon ou un Savennières, et un Châteauneul-du-Pape ou un Hermitage. Depuis, le vin-breuvage, le « GRQT » (gros rouge qui tache), a disparu. Ensuite la proportion de Français a progressé, les jeunes sont allés à l’étranger et ont élargi leur sensibilité. Il reste qu’on a encore affaire à beaucoup d’idées reçues — « toujours décanter; plus c’est vieux, meilleur c’est… », etc. (1); qu’on trouve toujours à Paris aujourd’hui des gens qui ne veulent boire que des bordeaux; et qu’en dégustation, les étrangers sont en général plus rapides, plus impliqués et plus travailleurs que nos concitoyens. Ma plus grande joie, c’est de revoir des dégustateurs ayant suivi un cycle il y a vingt cinq ans, revenir à des séances accompagnés de leurs enfants…

Q 3 Quelle serait votre définition du vin du Nouveau Monde ?

J.V. — Pour répondre en quelques mots et en forçant un peu le trait, il s’agit d’un produit venant d’un vignoble créé ex nihilo par quelqu’un qui a réussi dans un domaine d’activités autre; cultivé dans un pays de vide juridique sur le vin; avec l’objectif d’un retour rapide sur investissement. Il est concçu avec précision, après des études auprès de panels consom-
mateurs — la plupart n’ayant jamais bu de vin. La filtration radicale, la réacidification-désadéfication, la désalcoolisation, la dilution, l’aromatisation, etc. peuvent être utilisées, surtout si le pays producteur n’a pas reconnu l’OIV (2).

Ajoutons que dans ces pays du nouveau monde viticole, les vignes sont généralement moins sensibles aux maladies, et les rendements n’ont pas à être très élevés puisque les prix du foncier sont bas. Il n’est pas rare que les coûts de production n’atteignent que 10% de ceux des vins élaborés en France. Les prix de vente, eux, sont élevés, assurant la crédibilité des produits (« plus c’est cher, meilleur ce sera »), qui générent des marges importantes, permettant de substantiels investissements R&D et marketing.

Une autre définition pourrait être : « un produit à base de vin qui utilise les techniques agroalimentaires » sans se soucier de caractéristiques, essentielles à nos yeux, comme le terroir ou le millésime, pour mettre à la portée du plus grand nombre une boisson facile à boire et variant en fonction du goût du consommateur, pas au gré du climat. Cela n’a plus grand-chose à voir avec un Médoc ou un Bourgogne AOP, ce n’est plus vraiment du vin, disons que c’est une boisson à base de vin, qui peut d’ailleurs être très sympathique.

Ma réponse est certes caricaturale, et les Australiens et Néo-Zélandais, les Californiens, certains Argentins et Chiliens peuvent et savent aussi faire des grands vins de type français ou méditerranéen, et pas forcément produits et vendus moins chers que les nôtres.
D’ailleurs, le goût du vin européen est d’ores et déjà influencé par le nouveau monde viticole : les bourgognes blancs pour ne prendre qu’un exemple, ne sont plus ceux qu’on buvait il y a vingt ou dix ans, ils sont souvent plus flatteurs en bouche et opulents, plus fruités et boisés… mais leur espérance de vie est à la baisse !

Si la France avait été encouragée et autorisée à remplacer la production de GRQT par celle de « vins Danone » pour l’exportation, vendus franco 2-3 €/litre avec toutes les garanties de l’hygiène agroalimentaire, en mettant le goût de raisin en avant, avec 3 ou 4° d’alcool en moins, elle aurait sans doute pu surmonter la crise (il est permis de rêver). Mais certaines réglementations de nos vins de table étant longtemps restées presque aussi contraignantes que celle des grands crus, ces VdT ont perdu tout attrait à l’exportation.

Propos recueillis par Daniel J. Berger le 30 juin 2009 au Centre Jacques Vivet, 48 rue de Vaugirard à Paris VIème.

(1) Voir le chapitre « Attention aux contrevérités » pp. 9-13 dans Le Vin Mode d’Emploi, Jacques Vivet, Editions de Bartillat, 2006.
De Jacques Vivet également, Goûter le Vin, Editions de Bartillat, 1995.
Et sa contribution « Hommage au Pinot Noir » au Morey-Saint-Denis selon Dujac, Éditions des Cahiers Intempestifs, St Etienne, 2009

(2) Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, créée il y a plus de 80 ans à Paris où elle a son siège, qui fixe par consensus des Etats membres, producteurs et consommateurs, les normes techniques mondiales de l’industrie du vin.

(*) LA SESSION JACQUES VIVET POUR Mmmm… ton vin! : 4 séances  (19h30 – 22h, 250 €/p au total)

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Les participants : de gauche à droite
— Geneviève Le Caer; Daniel et Bully Berger; Xavier Castano; une invitée d’un autre cours; Jacques Vivet, debout; Hervé Lebec de face au fond; Bénédicte et Jérôme Ségur; Michel Elias; Pierre Wagniart.
Absents de la photo — Ann et Christopher Culpo; Tristan Follin; Guy Lainé (prend la photo); Marie Tixier-Guichard.

* * * * *

Le cours de dégustation de Jacques Vivet nous a fait mieux prendre conscience de nos capacités sensorielles; de développer les performances de notre nez; de nous aider à trouver les mots pour exprimer clairement et avec précision nos impressions et sensations propres; en dégustant méthodiquement 5 à 6 vins par séance, commentés sur une fiche de dégustation originale.

La fiche de dégustation comprend quatre colonnes :
– œil (couleur, aspect, brillance);
– nez (intensité, franchise, finesse, fraîcheur notées de 0 à 9);
– bouche (attaque, rétro-olfaction, persistance aromatique, …);
– notes et conclusions personnelles.
Cette fiche technique originale se conclut par la phrase d’Alain Souchon « la seule chose qui tourne sur cette terre, c’est leur robe légère ».

Le cours rappelle les bases essentielles indispensables :
– « éléments qui font le vin » – terroir, climat, cépages; conduite de la vigne; vinification, etc.;
– hiérarchie des crus; classements; appellations et dénominations;
– mets/vins – t°; préparation (notamment le carafage); alliances; etc.

Les séances de dégustation réservent des surprises. Elles remettent en cause les idées préconçues et nous sortent de nous-mêmes.

Mes commentaires : nous étions heureux de partager l’expérience mais il aurait presque fallu être séparés, tant la concentration (jouissive) est indispensable.
— Nous nous sommes bien sûr trompés, moi en tout cas, prenant notamment un Couhins Pessac-Léognan pour un riesling, un Moulis Poujeaux 1973 pour un Saint-Joseph, et un Bourgueil (à 90% CS, il faut dire) pour un Médoc.
— La séance dédiée aux blancs nous a fait découvrir un étonnant « vin de pays d’Urfé » (Loire) et un Cairanne 2007 du domaine « Les Hautes Cances ».
— Le résultat de cette session a été jugé positif par l’ensemble des participants, avec la conclusion que les exercices doivent être poursuivis.