PIERRE CHALMIN

pchalmin

Le corps et l’esprit
En capilotade,
Gravement malade
Pierrot tient le lit ;
Et dans sa demeure,
Colombine pleure
Lamentablement
Et prie humblement
Dieu d’être clément
Pour que son amant
Ne meure.

(Xavier Privas)

3. VILAIN HIVER

Si Colombine est triste, Pierrot tient pourtant encore le zinc, infiniment préférable au lit. Il s’est mis au lit, il est mort, c’est une leçon d’automne. La station debout n’est donc pas qu’un pléonasme, d’autant que l’hiver est cruel cette année encore.

L’hiver n’est pas gai, il ramène en fêtes avec lui parents, enfants, femmes et familles; sans champagne il ne serait tout simplement pas tenable. Les « vieux » sont odieux, la « bonne » femme l’est moins que jamais, quant aux « gosses », on n’en finit pas de se demander qui les a faits si tarés. La petite a déjà les nichons qui poussent : « Montre voir au monsieur, montre-lui donc ! on va pas te violer… Bon, elle veut pas… Va-t-en salope ! » Le cadet seul incarne l’espoir, il est nul à l’école : « Mon portrait craché !… Je lui dis toujours, tu feras comme ton père, tu joueras au Loto. »

lhiver— Noël ? on a tous été enfants de chœur, des foutaises, on piquait dans la quête et buvait le vin de messe. Quant à l’année prochaine, elle ne saurait qu’être meilleure : elle ne peut littéralement pas être pire…
Ça n’est que le début de l’hiver mais c’est la fin des saisons. Flaubert fit vivre Bouvard et Pécuchet; Gourio (1) les écouta vingt ans raconter leur vie : le second exercice, plus humble et plus patient, vaut bien le premier.

Par décret d’État, en République de France, on n’a plus le droit de fumer au comptoir depuis le 1.1.08. Les buveurs fumant, c’est la fin des zincs. Rendons grâce à leur Saint-Simon. Restent ces 4 Saisons des Brèves de Comptoir (2) qui témoignent prodigieusement, selon la formule désormais caduque d’André Dahl, « que tout, dans la société moderne, a sa fin légitime chez le mastroquet, la joie et la douleur, les mariages comme les enterrements. Le fer à cheval, en zinc ou en faux marbre, est le salon démocratique; il ne s’y dit pas plus de bêtises, les mains n’y sont guère plus sales et les consommations pas plus mauvaises que dans les salons mondains; surtout, on n’est pas obligé d’y rester si longtemps ! »

Voilà pourtant donc que les cons les salauds les philosophes les cosettes les musettes les lorettes les aliénés les poètes exerceront en chambre. Il est douteux qu’on les y visite : qui marque le début d’un très-long hiver, celui d’une société nouvelle qui fait un peu froid dans le dos…

PC

(1) Jean-Marie Gourio, l’auteur des Brèves de comptoir. Quelques citations :
Il a perdu son taxi parce qu’il buvait trop, maintenant il est chauffeur de car en Bretagne. Il faudrait qu’à l’auto-école on nous apprenne à conduire bourrés, on apprend bien la conduite sur glace.
Dans les bars à huîtres, elles boivent quoi les huîtres ? Tant qu’elle est pas ouverte, l’huître sait pas qu’elle est dans la cuisine avec des gens qui la regardent.
Le one-man-show qui a le moins de succès, c’est le prof de maths.
Sur l’Internet, c’est la foule avec l’avantage qu’il n’y a personne. Avec le cordon ombilical, moi j’avais déjà le téléphone.
Le seul temps réel c’est quand on est assis, sinon ça change, comme il a dit Einstein.

(2) Pierre Chalmin a compilé les Brèves de comptoir en quatre saisons, paraissant successivement chez Pocket. Il a donné une préface par saison mais seule celle du printemps a été retenue (publiée à chaque saison).