PIERRE CHALMIN

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Le cartable, c’est la rentrée des classes,

le tonneau, c’est le beaujolais nouveau,

chaque date a son objet fétiche.

 

 

2 — NOUS IRONS TRINQUER SUR VOS TOMBES Voici le temps des morts nouveaux et du beaujolais qui ne vieillira pas. Un temps où il fait bon boire pour oublier ceux qui sont morts d’avoir trop bu.

Au coin du comptoir, survivant qui vaticine, un vieil homme élégant se souvient des Hydropathes et doucement débite :

Je hais Neptune et les naïades
Les villes d’eau, les ports de mer,
L’onde pure et le flot amer,
Je hais tous les mots en hydro :
Je hais la vapeur et la glace.
J’ai dit aux fontaines Wallace :
Je ne boirai plus de votre eau.

lautomneOn le moque, on tente de le ridiculiser, il réclame alors une absinthe, une épée des témoins, on se tord, mais lui survivra à cet automne : il quitte le café en se haussant des épaules. C’était une chanson de son père, Gaston Sénéchal. On préfère Renaud qui ne boit plus paraît-il – c’est son affaire, qu’il boive si ça lui plaît –, mais enfin, Renaud est un bourgeois bravache, un faux bohème, un Bourget chantant…

Ernest Sénéchal était de mauvaise humeur ce soir-là, et comme j’ai la fantaisie, courtoise et probablement morbide, d’écouter les centenaires et les raccompagner chez eux quand ils titubent, mon exorde est fait. Il habitait Melun, je l’ai soutenu jusqu’à l’Hôtel de la Sorbonne ; il est mort bien sûr depuis, l’espérance de vie se réduit fâcheusement passé cent ans. Il jugeait les jeunes de tristes gâteux.

Venons à nos vivants d’automne, à nos buveurs saturniens. Ils sont pleins de pleurs quand pleuvent les feuilles, regrettent d’une éphémère amertume la mort qui prend les meilleurs, toujours et immanquablement : c’est son rôle depuis qu’on n’a pas inventé l’immortalité… depuis… Ève en fait, ça pourrait bien être sa faute au fond : si on ne naissait pas, bien sûr, on ne mourrait guère.

À moins que l’immortalité n’existe : Ah ! pardon, mais le contraire n’est pas prouvé ! Ainsi les astres, Zoroastre, Bouddha, Yahvé, Jésus-Christ, Allah, Muhammad ou Luther ont tous ensemble raison… sans oublier Allan Kardec et Victor Hugo. – Ou bien plutôt tort, depuis que personne n’est jamais mort !

À ce stade de précipitation métaphysique, tous les miracles sont permis… Patron ! la même chose !… En deux mots, laissez-moi vous expliquer : La vie éternelle est de plus en plus longue grâce aux progrès de la religion !

De débats climatiques en disputes climatériques, on ne les tarirait plus si la mort, bonne mère, ne finissait par les tuer et faire taire, ivres d’automne.

P. C.

À paraître : 3 — L’Hiver, et 4 — Le Printemps