DANIEL J. BERGER

La Toscane viticole se porte bien — le Chianti continue de s’améliorer, les Super Toscans sont devenus un modèle haut de gamme qui s’exporte, copié aux USA, en Australie et ailleurs.
Pour le faire savoir, elle a organisé du 18 au 21 janvier dernier un libation mahousse pour la presse européenne : plus d’une centaine de vins présentés, dégustés et… bus.
Suite du post précédent.

MARDI 20.01.09

— SAN GIMIGNANO : Casale–Falchini; Consorzio San Gimignano Vernaccia
— CASTELLINA MARITIMA :  Castello del Terricio

•    San Gimignano

En tournant autour et dans quelque axe qu’on le regarde, le village de San Gimignano qui nous surplombe intrigue par la hauteur de ses tours (photo ci-dessous).

Depuis quel siècle la tour est-elle signe de puissance et de domination, d’exigence existentielle, de durée et de foi humaine, autant que la cathédrale ? Et jusqu’à quelle époque ? Au 11 septembre 2001 ? Après cette date, la tour peut-elle encore être le signe de tout cela à la fois ? Aux XII et XIIIèmes siècles, San Gimignano en comptait 70, carrées, rivalisant de hauteur, dont aujourd’hui 13 restent encore debout orgueilleusement. Est-il compréhensible qu’à la grande époque toscane on ait bâti en hauteur plutôt que d’étendre la cité ? Énigme.

•    Casale Falchini : dégustation dans la nature des choses

Nous sommes au domaine Casale en contre plongée de San Gimignano, propriété des Falchini, honorable famille qui a œuvré pour le compte des Médicis aux XVII et XVIIIèmes, et notamment Côme III, le premier à avoir imposé l’uva franca, le « raisin franc », ancêtre de notre cabernet. Leur devise : In Rerum Natura ou « Dans la Nature des Choses ». Ils ont commencé à planter ici en 1964 et c’est en 1976 que Riccardo Falchini, qui nous reçoit, a débuté la fermentation à froid aidé du célèbre œnologue Giacomo Tachis. Il produit aussi du vin santo et de l’huile d’olive en quantité non négligeable, comme à peu près tous les viticulteurs rencontrés.

Riccardo Falchini (ci-dessus à droite) a convoqué ses deux fils, Michael et Christopher (à gauche) dont l’un a la nationalité américaine (en tout Italien existe virtuellement un Italo-Américain et le père est admiratif : « Ah, si je pouvais parler l’anglais comme lui ! »).

Nous dégustons d’abord quatre blancs :
— un Spumante Metodo Classico pour se mettre en bouche (il est 10h 45 !), au nez proche d’un champagne (le nez seulement), dont ils produisent 70 000 b/an (14 €);
— trois Vernaccia di San Gimignano (7): Vigna a Solatio 2007, joli au nez, sweet/sucré, mais vide en bouche (3 €); Ab Vinea Doni 2006, plus habité et plein mais assez plat dans l’ensemble (6 €); et Vigna a Solatio Riserva 2006, peut-être moins complexe que le premier. Les trois sont plus séduisants au nez qu’en bouche.

Puis trois rouges :
— le DOCG Chianti Colli Senesi Titolato Colombaia 2007, 85% SGV, 15% cépages autochtones (4 €). Ce vin est agréé par un consorzio (syndicat) propre à Titolato.
— les IGT Paretaio 2004 (95% SGV, 5% M), râblé, bonne matière, de l’astringence (7 €); et Campora 2003 (95% CS, 5% M), astringent aussi, sans profil « bordelais » mais bien « italien » (16 €). Pourra durer 15 ans.

(7) Issu du cépage autochtone du même nom, le Vernaccia a été connu pour sa couleur jaune due au grès du sous-sol de son aire de délimitation, fort et oxydé car conservé longtemps en barriques anciennes évoquant le Xérès, sans trace de fruit ni possibilité d’évoluer, un peu comme les Rioja à l’ancienne. Il a lui aussi été transformé, devenu aujourd’hui plus sec, clair, fruité et boisé (chêne jeune).

•    Consorzio della Denominazione San Gimignano – Vernaccia

25 vins sont alignés sur la longue table du restaurant, provenant de onze propriétés affiliées au syndicat de San Gimignano et Vernaccia di San Gimignano (81 répertoriées). Les propriétaires sont prêts à commenter leurs crus. J’en goûte 12 et retiens les 5 notés *** :
Chianti Classico Riserva Montegiachi 2005 – Agricoltori del Chianti Geografico, isolé au sud de l’appellation, un vin simple et franc, bien fait.
San Gimignano DOC Rosso La Sughera, 2003 – Pietrafitta , à l’est de l’appellation, joliment rustique.
San Gimignano DOC Rosso Sottobosco, 2005 – Palagetto, d’un vignoble près du village au sud, charmeur. — Toscana IGT Rosso Cosimo, 2004 – Le Rote; un beau rosso fort et tannique.
Toscana IGT sauvignon, 2007 – Il Palagio, pour son expression vraiment originale du sauvignon, fruité, parfumé et rond en bouche, résistant bien après les rouges.

•    Castello del Terricio

Exploitation typique Super Toscane, située près de Castellina Maritima sur le littoral (voir ci-dessous photo bas de page).

Dans les années 70, l’histoire est édifiante, le jeune aristocrate Gian Annibale Rossi di Medelena Serafini Ferri, grand cavalier devant l’Éternel, fait une chute de cheval qui le laisse paralysé — il ne craint pas de poser dignement sur le dépliant commercial de Terricio en fauteuil roulant un verre à la main (du blanc) (ci-contre).
Il décide alors de se dévouer entièrement au vignoble de la propriété de 1 700 ha héritée de son oncle (Giovanni Serafini Ferri). Il va créer de toutes pièces un domaine de 130 ha et un style de vins inspiré des Bordeaux qu’il adore et révère, en y plantant les cépages du Médoc CS, M, PV; et aussi de la syrah et du SGV; et en blanc, du chardonnay et du sauvignon blanc — et non pas sur l’argile mais dans la terre rouge des anciens marais riche en minéraux (cuivre, fer, manganèse). Il fait protéger par des eucalyptus les vignes plantées sur les pentes tournées au sud-ouest vers la mer.

Son œnologue Carlo Ferrini conduit l’exploitation patiemment et en 1991 sort le Rondinaia, en 1992 le Tassinaia (« le lieu des pierres ») et en 1993 le Lupicaia (« là où chasse le loup »), qui obtiennent aussitôt les meilleures notations du critique Gambero Rosso, le Robert Parker italien. Rossi di Medelena est un perfectionniste et un gagneur. Ses vins ont de la classe, de la personnalité et correspondent au « goût global ».

Le lieu où nous sommes reçus me rappelle Semeli dans le Péloponnèse, sur les hauteurs de Néméa — même ampleur intérieure, même point de vue dominant les vignobles, même qualité d’accueil.
C’est la directrice export et marketing Bettina Bertheau (ci-contre) et le jeune maître de chai Giovanni Passoni qui conduisent la dégustation:

Tassinaia (34% CS, 33% SGV, 33% M) provenant d’une très grande parcelle de 15 ha de sable et caillou. 2004 : mûre, cassis et herbe; satiné, fondu, long, laissant de la prune et de la cerise en finale. Je suis impressionné par la structure maîtrisée et l’élégance : ****. Puis leL 2005 que je trouve moins majestueux : ***. Entre 25 et 30 €. 100 000 b/an (ce cru est mon préféré de la journée).

Castello de Terricio (50% syrah, 25% PV, et 25% d’un mix de cépages non communiqués). 2004 : du minéral, du salin aussi, trop extrait et boisé. Un vin-performance. 14°. 2005 : sans doute plus de potentiel qu’en 2004. 15,5°. 40 000 b/an (60 €).

Luppicaia (85% CS, 5% PV, 10% M) provenant d’une parcelle de 5 ha, la meilleure du vignoble. C’est ce vin qui a fait la réputation de Castello del Terricio. 2004 :  arômes de fruits en équilibre entre la cerise, la mûre et l’épice, et en secondaire, de menthe et de chocolat. Belle longueur, inhabituelle en Toscane. 14°. 2005 : l’acidité uniforme ne masque pas l’astringence, ce vin n’a pas fini de se faire, attendre. 13,5° (85-90 €).

Con Vento (100% sauvignon blanc), provenant des vignobles les plus exposés aux vents maritimes. Un nez de sureau très prometteur, mais un manque d’acidité en bouche. 13° (15 €).

Capannino (100% SGV), le plus ancien des vins de la propriété. 2005 : plus simple que les précédents, beau vin franc et honnête mais puissant (trop ?) 15,5° (6 €). L’élégante Bettina remet à chacun un panier des 3 premiers vins dégustés, en millésime 2003.

toscane141
Anciens marais du littoral à proximité de Castellina Maritima, aménagés en vignobles dans les années 1980.


Ce mardi 20 janvier 2009, il est 18h ici mais seulement 11h à Washington. Les cérémonies d’investiture du nouveau président américain Barack Obama ont commencé.

Je vais sécher la dégustation accompagnant le dîner, une douzaine de vins de l’appellation « Chianti Val di Cornia » — Rubia al Colle vino de tavola de Muratori, Gualdo del Re, Bulichella, etc. — et rester dans ma chambre d’hôtel. Il a nom Tombolo (cad « langue de sable dans la mer »), un « Thalasso Resort » situé rue du corail (on en trouve effectivement dans le sous-sol) à Marina di Castagneto Carducci, d’où je vois la mer beige sous la pluie.

À 20h il ne se passe pas grand-chose sur CNN, il va falloir attendre 2-3h du matin. Pour résister au sommeil, entre les séquences main dans la main de Michelle et Barack Obama descendus de la limo présidentielle, je prends des douches froides (Yes I Can!) mais finis par m’endormir. Le lendemain forcément, je me réveille avec un début de grippe qui va empirer à Lucca et culminer rentré à Paris.

À SUIVRE…