DANIEL J. BERGER

Une Promesse de vin est un livre méconnu, car négligé à sa sortie fin 2007. C’est pourtant un grand livre de découvertes. Celles d’excellents vignerons français – originaux, authentiques, souvent modestes, lyriques à leur manière, vibrant tous de ce « courant vital » dont parle son auteur, Georges Bardawil (3 Questions à…)

Oui, Georges Bardawil, le créateur de L’Amateur de Bordeaux, l’inventeur des bars à vin L’Écluse. Et l’un des fondateurs du magazine Photo, le coscénariste d’une vingtaine de films (de Jacques Deray, etc.), l’auteur du fameux Série Noire Aimez-vous les femmes ? (au sens d’aimer les manger). Il est partout et c’est bien le même.

Couverture Une promesse de vin - Georges Bardawil Une promesse de vin est un reportage qui restitue peut-être mieux qu’un film, le ton et la voix de quatorze viticulteurs*, leur pensée, le mouvement de leur corps et de leurs membres, l’odeur du terrain où ils évoluent, le souffle du foehn ou du sirocco dans la vigne, le serpentement de ses radicelles sous l’herbe, la brume du Ciron, le soleil du Languedoc, les crépuscules aquitains, les saisons qui passent, la lune qui mène leur danse à tous et qu’on ne voit pas, elle.

À la fois éternels débutants (malgré leur grande expérience, chaque millésime leur ménage des surprises), magiciens (expérimentant en permancence la combinatoire climat-terroir-raisin-vinification), compagnons (de la liane indocile), accoucheurs (de vendanges), naisseurs (de fermentations) et éleveurs (un, deux, trois ans, quelquefois plus longtemps). Le sur-titre est « Des terroirs et des hommes« . Sur les photos d’Isabelle Rozenbaum nettes et/ou floues, on les aperçoit grimpant leurs pentes et restanques, arpentant leurs règes, collant l’oreille à leurs cuves (celles de Sylvain Fadat/Aupilhac, Languedoc, en couverture à gauche).

Il a fallu de la passion à Georges Bardawil — il en a beaucoup, on le savait —, et autant de sagesse — ce qui fait son grand charme — pour faire vivre ces figures sans trucs ni formules, simplement par l’écoute, l’empathie. De l’habileté aussi, celle de nous faire désirer leurs merveilleux vins qu’on voit danser dans les verres. Et j’ajouterais de l’esprit de sérieux, qui l’autoriserait à publier ses notes de dégustation.

Chaque chapitre présente une belle femme — Agnès, Christine, Corinne, Désirée, Marie, Marie-Françoise, Miloute, Thérèse, … — aux fourneaux préparant les plats (photographiés, 42 recettes détaillées). Et aussi Emmanuelle dont on voit les jambes fouler le moût à l’ancienne, Joëlle humant les yeux fermés comme en extase, Christine qui parle avec conviction d’éducation du vin par lui-même…

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Alors oui, cette Promesse de vin est tenue — qui vaut bien des traités savants moins lisibles; bien des manifestes écologiques (biodynamie, retour des labours, enherbement, SO2, « Droits du Terroir »); et bien des articles et reportages de la presse spécialisée, en comparaison maigres et/ou imprécis.

Dans ce beau livre exigeant et respectueux, il y a de l’humainLe vigneron incarne celui qui a gardé la foi, les pieds dans la terre, en profondeur; et en même temps, celui qui s’est élevé et qui est parvenu à une transcendance grâce à ce liquide rouge chargé de mythe et de rêve qu’on appelle le vin. » — François Mitjaville).

Il y a de l’universelLes grands terroirs sont ceux qui depuis très longtemps ont été civilisés par la vigne et les vignerons qui s’y sont succédés. » — André Ostertag);

Du prosaïque Pour bien tailler un hectare de vigne, il faut 14 jours de travail à deux. Imaginez le nombre de coups de sécateur ! Pour un cep en gobelet, il faut compter 20 à 25 coups. Mais c’est à la taille que tout se joue… » — Jean Foillard), du prosaïque qui peut devenir sublime, comme au cinéma.

De l’amour, celui que chacun d’eux nourrit pour son environnement (« L’important, c’est de rassurer la vigne, de l’amener à oublier sa condition de servitude. Lui donner l’illusion qu’elle est aussi libre que les herbes qui poussent autour d’elle. » — Claude Papin); et celui de leur couple — qui s’entraide, se complète, se défie.

Du plaisir, à partager le destin de ces femmes et hommes du vin; et de la jouissance, celle de l’auteur, Georges Bardawil, qui sait les confesser en douceur.

Je le dis à nouveau, la Promesse est tenue.

db – 21 février 2009

(*) Par ordre d’entrée : Noël Pinguet – domaine Huet, Vouvray; Antoine Arena – Patrimonio, Haute Corse; André Ostertag – Epfig, Alsace; Anselme Selosse – côte des Blancs de Champagne, Avize; Sylvain Fadat – domaine d’Aupilhac, Montpeyroux en Languedoc; Thierry Allemand, Cornas, côtes du Rhône; Thérèse et Michel Riouspeyrous, domaine Arretxea, Irouléguy; Alexandre de Lur-Saluces – château de Fargues, Sauternes; François Mitjaville – château Tertre-Rotebœuf, Saint-Émilion; Claude Papin – Pierre-Bise, Beaulieu-sur-Layon; Olivier Jullien – Jonquières, coteaux du Languedoc; Jacques Puffeney, Saint-Sylvestre-en-Arbois, Jura; Christine Campadieu et Vincent Cantié – domaine Tour Vieille, Collioure; Jean Foillard – côte de Py et Corcelette, Villié-Morgon.

Une Promesse de vin de Georges Bardawil (texte et interviews) et Isabelle Rozenbaum (150 photos). Préface de Pierre Veilletet. Éditions Minerva 2007, 224 p, broché, 38 €.