HERVÉ LALAU
Le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires » est en discussion en commission parlementaire en France ces jours-ci.
Et curieusement, vu son titre, il traite beaucoup de vin. Entre autres joyeusetés, il prévoit l’interdiction des dégustations gratuites sur le lieu de vente.
Les producteurs sont atterrés. Les media français se font mollement l’écho de leur désarroi.
Il faut lire la presse flamande, et notamment le Standaard, sous la plume d’Alain Bloeykens, pour trouver une réaction à la mesure du problème !
Pourtant, pour qui veut chercher, il y a matière à de beaux articles. Comment la ministre de la Santé Roselyne Bachelot peut-elle seulement feindre de croire que le vin est la source des problèmes relevés par l’enquête « Alcool et autres drogues », réalisée dans les écoles françaises. Enquête sur laquelle elle dit appuyer son projet de loi. Ce n’est pourtant pas le cabernet ni le pinot qui coule dans les « rave-parties » ni dans les fêtes d’étudiants !Quelques parlementaires ont osé détricoter un petit pan de son projet de loi (qu’on croirait pondu par un de ces hygiénistes qui préconisent l’abstinence): ils ont voté un amendement permettant à un parent de commander une boisson alcoolisée pour un mineur. La ministre s’est dit « plus que réservée ».
Les bras m’en tombent. Les parents n’ont-ils pas la charge de leurs enfants, ne doivent-ils pas les éduquer, aux risques comme au reste ? Quel est cet Etat totalitaire qu’on nous propose, qui pense pour nous, qui juge de ce que nous devons faire de notre vie et de comment nous devons élever notre progéniture ?
Au Québec, il n’y a pas beaucoup de production de vin, mais il y a Educ’alcool. En France, il y a Margaux, Petrus, La Romanée-Conti, le Rangen de Thann, La Coulée de Serrant, le Clos des Papes… et Bachelot.
Des terroirs ancrés dans l’histoire, et une ministre mal inspirée qui risque bien de ne laisser dans l’histoire qu’une image de prohibitionniste gaffeuse, de Marthe Richard du vin. Pour elle, c’est tout ou rien. Elle voudrait que les producteurs capitulent en rase campagne. Comme si la campagne n’était pas déjà assez mal engagée pour eux avec la crise financière.
Mais que font les élus des régions de production, et notamment ceux qui ont accès aux grands médias ? Il y a bien Alain Juppé, qui critique en sourdine le projet au nom de ses administrés bordelais, mais combien d’autres se taisent, notamment parmi les grandes pointures ? On aimerait connaître l’avis d’Adeline Hazan, maire de Reims – que serait Reims sans le Champagne, et pourtant nulle mention du Champagne dans ses voeux à la presse, cette année. L’avis d’Arnaud Montebourg, l’élu du Mâconnais. De Ségolène Royal, présidente de la Région du Cognac et du Pineau. De François Rebsamen, maire de Dijon, qui soutient les salariés des moutarderies en lutte – et pas le peuple des vignerons ? De Jean-Marc Vayssouze, le jeune maire de Cahors, terre de coopératives sociales…
A priori ils ne sont même pas du même bord politique que Mme Bachelot. Alors qu’est-ce qui les retient ? Et nos confrères de la « grande » presse, si épris de liberté, d’habitude. Où sont-ils dans ce combat?
Hervé Lalau est journaliste français et secrétaire général de la FIJEV (Fédération Internationale des Journalistes et Écrivains du Vin) depuis 2006, basé à Bruxelles.
Il édite le blog Chroniques Vineuses d’où cet article provient.
De ALAIN-GÉRARD SLAMA – Extraits des ‘Matins de France Culture’ 04.03.09, 8h50.
Il y a un problème de liberté publique qui me préoccupe. À la Révolution, on avait peur de boire du vin frelaté – l’Octroi d’ailleurs était à Bercy, à l’endroit où se trouve le ministère des Finances… Vous avez protesté légitimement contre cette loi restrictive qui veut éviter l’usage du vin, de l’alcool, etc. Mais que faire pour orienter les jeunes qu’il faut éduquer, car leurs pratiques peuvent conduire à l’obésité et être dangereuses ?
SÉBASTIEN DEMORAND – Il faut savoir que les 15-25 ans particulièrement visés par le projet de loi ne consomment pas de vin, en tout cas moins de 5%, mais de l’alcool fort, de la vodka frelatée par exemple, pour la défonce, ce qu’on appelle le « bindge drinking » : le vin n’a rien à voir là-dedans.
JEAN-ROBERT PITTE – (…) J’ai été minoritaire jusqu’ici, mais dans vingt vous verrez, on dira : « il fallait faire bouger l’Université ». Enfin, à la Sorbonne il y a des cours de dégustation pour montrer aux étudiants que boire du bon vin intelligemment et ensemble est un acte de culture, de partage et non d’alcoolisation.
Sébastien Demorand et Benedict Beaugé – « Les Cuisines de la critique gastronomique »,
Gallimard (février 2009).
Bibliographie résumée d’Alain-Gérard Slama – « L’Illusion de la rupture », Plon (2009). « Chroniques des peurs ordinaires », Seuil (2003). « Les Chasseurs d’absolu, genèse de la gauche et de la droite », Pluriel (1994). « La Régression démocratique », Perrin (2002). « L’Angélisme exterminateur, essai sur l’ordre moral contemporain », Grasset (1993).
De MARC KRAVETZ – Extraits des ‘Matins de France Culture’ – 04.03.09, 8h45.
Je suis très frappé par la vivacité du débat dès qu’il s’agit du vin… Dieu qu’on est en France ! Quand je pense à tout ce qu’on laisse passer et qui mériterait de descendre dans la rue… mais quand c’est le vin, alors on va sur les barricades ! On ne touche pas au pinard !… Ce n’est pas que le propos soit faux, c’est qu’il est entièrement centré sur le produit identitaire par excellence, c’est beau comme du Roland Barthes à vous écouter (…).
JEAN-ROBERT PITTE – Eh oui, quand on touche au pinard, la réaction française, vous le savez bien, c’est de faire la Révolution : les Parisiens excités à un point inimaginable ont pris la Bastille pour le pinard, enfin pour des raisons tenant à l’augmentation de l’octroi de Paris sur le vin…
MARC KRAVETZ – Enfin, bon… La proposition d’inscrire la gastronomie française au patrimoine de l’UNESCO, semble aller un peu de pair avec cette exaltation sur le vin… Et je suis d’accord avec le livre de Sébastien Demorand (1), vous ne pourrez pas empêcher cette affirmation d’arrogance invraisemblable dont on se demande en quoi elle est légitime, pourquoi n’y aurait-il que la France, que la gastronomie française ?
JEAN-ROBERT PITTE – La mission dont la direction m’a été confiée va se recentrer à la demande de l’UNESCO sur le repas à la française. Mais… les Français n’ont pas grand’chose entre eux, la nation française tombe un peu en quenouille, et il y encore quelques points qui nous réunissent : la langue, quand on accepte de la défendre – la langue française est pour tous, pour les riches comme pour les pauvres, pour la droite comme pour la gauche, pour les gens du nord comme pour ceux du sud; et l’art de bien manger, en étant sérieux sans se prendre au sérieux : l’arrogance dont les Français sont spécialistes dans bien des domaines, est épouvantable. Je le répète soyons sérieux sans nous prendre au sérieux et disons plutôt : la gastronomie, c’est quelque chose d’important et partageons-la avec vous Burkinabés, Marocains, Sénégalais, vous tous peuples de la planète. La France a exporté son savoir manger, son modèle culturel, mais c’est un modèle non figé, il bouge constamment, et c’est ça aussi qui intéresse l’UNESCO. (…)
MARC KRAVETZ – Bof… Tout ça ! C’est sympa de boire un bon coup, mais faut-il charger la bête, tout ce discours autour est-il indispensable ?
JEAN-ROBERT PITTE – Talleyrand voyant quelqu’un boire son vin d’un seul coup, disait : « Monsieur, ne faites pas ça, un verre se prend, se regarde, se hume… »; « et après, on le boit ? »; « Non Monsieur, après… on en parle ! »
ALAIN-GÉRARD SLAMA – En dehors du discours, il ne reste plus rien Marc…
(1) Sebastien Demorand et Benedict Beaugé : « Les Cuisines de la critique gastronomique »,
Gallimard (2009).
Bibliographie de Marc Kravetz – « Portraits du jour, 150 histoires pour un tour du monde », Éd. du Sonneur (2008). « Armand Gatti », Éd. Jean-Michel Place (2003). « Irano nox », Grasset (1982). « L’insurrection étudiante, 2-13 mai 1968 », ensemble critique et documentaire en collaboration avec R. Bellour et A. Karsenty, UGE, 10/18 (1968).
De JEAN-ROBERT PITTE – Les Matins de France Culture, 04.03.09, 8h34.
Je crains le pire de la loi “Hôpital”, je crains un retour à la Prohibition, qui a montré aux Etats-Unis combien ses conséquences pouvaient être fâcheuses puisque qu’elle a permis le développement de l’alcoolisme et des pratiques mafieuses absolument dramatiques. Au bout de dix ans, entre 1920-21 et 1930-31, on a fait machine arrière. Ne revenons donc pas à cette absurdité. Mais éduquons en particulier les jeunes, mettons-les devant leur responsabilité. On sait très bien que boire à l’excès peut être dramatique, mais que boire un verre de vin n’a jamais fait de mal à personne, au contraire, cela fait beaucoup de bien. Et je trouve que le rapport de l’Institut du cancer sur les dangers du premier verre de vin ou de boisson alcoolisée est absolument dramatique parce qu’il ne nous montre que les aspects négatifs alors qu’il y a des aspects positifs démontrés depuis longtemps comme le French Paradox, dont on a tellement parlé. On sait très bien que le vin a des propriétés anti-oxydantes donc anti-cancéreuses, et personne n’a établi le rapport sur la part respective des deux, positifs et négatifs. Cette proposition de loi est absurde et je trouve que c’est prendre les Français pour des imbéciles et des enfants que de pas les éduquer sur leurs responsabiltés et en leur disant : « attention danger de l’excès d’alcool, mais bienfait merveilleux, y compris en termes de sociabilité, de la consommation raisonnable de bon vin, qui n’est pas forcément du vin de luxe. »
(…) Mais je ne suis pas très inquiet, le puritanisme ne passera pas : nous avons des parlementaires de droite comme de gauche qui s’opposeront en majorité à cette loi scélérate [qui menace d’interdire les dégustations dans les caveaux et les salons professionnels, même les petites bouteilles des plateaux repas à l’hôpital !]. Moi [ancien président de la Sorbonne] qui ne défile jamais dans la rue, je suis prêt à y descendre, et avec mes étudiants !
ALAIN-GÉRARD SLAMA – Je serai avec vous !
CATHERINE CLÉMENT – Au nom de la diététique, nous allons vers une société tyrannique, de plus en plus ascétique…
JEAN-ROBERT PITTE – Une société totalitaire !…
Bibliographie résumée de J. R. Pitte – “À la table des dieux”, Fayard (2009). “Le désir du vin : à la conquête du monde”. Fayard (2009). “Bordeaux-Bourgogne, les passions rivales”, Hachette Litttératures (2005). “Le Vin et le divin”, Fayard (2004). “Géographie des odeurs”, L’Harmattan (1998). “Gastronomie française, histoire et géographie d’une passion”, Hachette (1991)