Remarques sur les Bordeaux 2007

UN MILLÉSIME DIFFICILE
Hiver plutôt froid, chaleur début de printemps (mois d’avril record à 25,5°) et fulgurant départ en végétation. Puis temps frais et arrosé du 20 mai au 24 août, où n’apparaît que tardivement la chaleur de l’été. Arrière-saison chaude et sèche jusqu’à début novembre. Après des vendanges incertaines, les choix de vinfication ont été complexes et risqués. Sans les progrès de la vinification, un tel millésime aurait été catastrophique il y a encore quinze ans.

Les vins de 2007 seront assez hétérogènes. Si « grand Bordeaux » signifie « garde », 2007 est un petit millésime mais finalement équilibré, ce qui n’est pas rien. Alors que la consommation et le pouvoir d’achat sont en baisse, les primeurs connaîssent un retour à des prix un peu moins chers, et pour les œnophiles qui se détournent des vins concentrés et préfèrent des vins plus frais, fruités et séduisants, 2007 devrait les combler. Rien que du bon en blanc. Et de bonnes affaires en « milieu de gamme » — Cantemerle, Beychevelle, Sociando-Mallet par exemple.

BLANCS
Millésime exceptionnel pour les secs
Pour exprimer acidité, fraîcheur du fruit et complexité aromatique, les cépages blancs doivent mûrir lentement et sans à-coups. L’été frais a favorisé une bonne maturation en fin de cycle (après-midis doux, nuits assez froides) et des vendanges sèches début septembre. Denis Dubourdieu écrit : « Sémillon et Sauvignon sucrés, acides et extrêmement aromatiques, parmi les meilleurs depuis 1996. Comme on pouvait s’y attendre, les blancs secs sont exceptionnels — concentrés, éclatants de fruits, savoureux, racés –, au-dessus des 2006, déjà délicieux ».
Pas de baisse de prix : millésime exceptionnel, récolte moins abondante qu’en 2006 et consommation de blancs secs en hausse dans tous les pays occidentaux, les producteurs bordelais ont augmenté leurs prix de 10% à 15%, suivant en cela la tendance générale des vins blancs (cf. les Bourgogne).

Grand millésime en liquoreux
Quand les raisins sont mûrs début septembre, pour les blancs liquoreux tout se joue sur l’arrière-saison et l’apparition progressive du botrytis, présent cette année sur l’ensemble du vignoble en septembre et octobre. Les producteurs ont étalé les vendanges sur 7 semaines, du 10.09 au 28.10. Les 1ères tries ont donné des moûts riches avec une bonne acidité et de fortes concentrations en sucre; et les dernières, se sont montrées plus botrytisées, plus rôties, plus grasses, avec plus d’éclat aromatique. Après assemblage, les vins se caractérisent par une grande richesse liquoreuse et un style massif. A toutes les dégustations, les Barsac (Climens – 99 €/b, Coutet – 37 €/b) ou bas-Sauternais (Lafaurie-Peyraguey, Clos Haut-Peyraguey – 27 €, Raymond-Lafon – 27,5 €) l’ont emporté, la vivacité équilibrant la sucrosité. Le haut-Sauternais (d’Yquem, Rieussec) ne seront pas en reste. Mais tous devront vieillir et il faudra être patient. Les liquoreux 2007 sont au niveau des 2003 ou 1997, sans pourtant posséder la magie des 2001. Les prix sont à la hausse de 10% à 25% – à l’exception de Raymond-Lafon qui a baissé de 10%, à… quand même quelque 300 € la caisse.

ROUGES
Les meilleurs seront les CC
Pour avoir un beau millésime, il faut que l’arrêt de croissance soit causé par le climat chaud et sec fin juillet, à la véraison, quand les raisins grossissent et changent de couleur. Quand le temps chaud et sec n’arrive qu’en fin de maturation, ce sont les cépages tardifs, Cabernet et Petit Verdot, qui profitent mieux. Et en climat atlantique humide comme ici, la contrainte hydrique précoce que subit la vigne pour mûrir est directement dépendante du draînage des sols, apanage des grands terroirs de Gironde. La précocité en bordure d’estuaire de Gironde, au nord de Pessac-Léognan, et sur le coteau de Saint-Emilion ou le plateau de Pomerol à Figeac a aidé a priori les grands crus à dominante de cabernets et qui ont pu engager des moyens considérables, creusant l’écart avec leurs suivants. Château Margaux n’a retenu que 32 % de sa vendange, et Cheval Blanc 30 %. Il s’agit d’un millésime à deux vitesses : bon à très bon chez les uns, médiocre voire mauvais chez les autres, le panorama est sélectif, mais les meilleurs seront de grands vins : Parker en a noté 138 entre 90 et 100.

Le style : éloge de la lenteur
Les viticulteurs ont été surpris de constater que les traditionnels 100 jours entre la fleur et les vendanges, sont passés cette année à 118-125 jours et ces trois semaines supplémentaires ont induit une typicité sans équivalent dans l’histoire récente : acidité basse, fondue au fil du temps; peaux affinées, donnant une trame tannique douce et caressante; arômes mûrs sans caractère végétal.

Une fois en bouteille, les rouges 2007 seront charmeurs, suaves et soyeux, et les proportions accrues en cabernets franc et sauvignon leur assureront puissance et longueur. Ils auront le soyeux des 1999 et la fermeté des 2002. Selon Michel Bettane « les 2007 auront plus de corps et d’intensité que les 1996 et les 1989 ». Si on pourra commencer à les déguster peu après la mise, 15 à 20 ans en cave ne leur feront pas peur. Si vous désirez attendre tranquillement l’apogée de vos 2005 et 2006, alors 2007 est fait pour vous !

Prix : une baisse raisonnable
La tendance est marquée à la baisse, d’environ 10% pour les crus de 10 à 50 €, et de 15% à 40% pour les grosses têtes au-dessus de 50 € : – 42% pour Troplong-Mondot à 48,5 €/b, – 34% pour Vieux-Château-Certan (62,5 €/b), – 28% pour Margaux (266 €/b). Ah! les pauvres.

Comparés aux 2004 ou 2002, les Bordeaux 2007 restent certes élevés. Mais dans une demande mondiale croissante pour les « marques phare » et un contexte inflationniste, il est illusoire d’espérer des baisses plus nettes : Sociando-Mallet peut-il descendre à moins de 23 € ht/b ou Talbot à moins de 28 € ht/b ? Qui sait, peut-être dans cinq ans regarderons-nous avec envie le prix des 2007 comme nous regardons aujourd’hui celui des 2002 (1ers CC à 80 € !) ?

FAUT-IL RÉSERVER ?
C’est recommandé pour les grands blancs secs car la quantité est faible.
Ainsi que pour les magnums et les 50 cl.
Et conseillé pour les rouges, avec l’espoir non d’une plus value, mais d’une économie de 10 à 15% sur le prix à la sortie en bouteille dans 18 mois. Car pour les 100 plus grands Bordeaux, la demande va continuer à croître. Et si 2008 s’avère un bon millésime, les prix remonteront (au niveau des 2005); de même, s’il est comparable en qualité à 2007 et est aussi peu productif, les prix ont des chances de monter — au même titre que les matières premières — et de tirer les 2007 vers le haut : en 2009, les Sociando-Mallet ou Talbot 2007 par exemple seront au moins au prix actuel des 2002 ou 2004, soit 30 à 35 € ttc/b.

Source : Lettre Maison F. Dubecq.