DANIEL J. BERGER

PéloponnèseLes premiers vins du pourtour méditerranéen à affirmer leur renouveau ont été ceux de Toscane avec les Super Toscans (cf. Nos Voyages).
La Rioja à son tour
s’est annoncée dynamique et triomphante, suivie par la Navarre.
Le berceau de la Méditerranée continue de s’animer, l’élan a gagné les vins de Grèce.

Interrogation existentielle pour les Français au goût habité de la religion des crus nationaux : peut-il exister des bons vins ailleurs, sous-entendu qu’au centre du monde: chez nous ? Est-ce possible en Grèce par exemple?

Invité au salon Œnorama d’Athènes du 26 au 29 mars 2008, j’en ai profité pour rencontrer les vins du Péloponnèse. Et la réponse aux franco-nombrilistes qui ont confusément idée que les Hellènes peuvent faire autre chose que du Retsiné : eh bien c’est OUI ! La Grèce est en train de devenir la NOUVELLE FRONTIÈRE en Méditerranée.

Tout d’abord, le vignoble grec a bénéficié depuis 1970 d’une double révolution, à la fois réglementaire en instituant une organisation d’AOC calqué sur le système français; et œnologique, la majorité des viticulteurs grecs étant venus à partir des années 80 étudier dans les universités du vin – Bordeaux, Dijon, Montpellier; et en Italie, Allemagne, Nouvelle Zélande, Californie, Angleterre même… Et depuis l’entrée en 1993 dans le grand marché européen, cette révolution qualitative perdure. Encore aujourd’hui, la Grèce importe plus de vin qu’elle n’en exporte et c’est un facteur de « challenge » permanent pour sa production.

Les Grecs possèdent une vraie culture de la vigne et du raisin depuis de longues années : la viticulture, endormie pendant quatre siècles d’occupation ottomane/turque, a remplacé la culture du raisin de Corinthe, aujourd’hui diminuéede 1,2 millions de quintaux à 700 000/an en 5 ans (dont seulement 200 000 exportés, ils restent eux-mêmes gros conommateurs : 4,45 kg/an par habitant !), mais bien présente encore, plus rentable et moins risquée que celle du vin. La Grèce est aujourd’hui 15ème producteur mondial de vin avec 4,3 Millions hl en 2004 (57 Mhl en France).

Le Péloponnèse est la région de production viticole la plus étendue de Grèce, environ 22 000 ha sur une superficie totale d’environ 72 000 ha de vignobles (120 000 pour le vignoble de Bordeaux), devant la région d’Athènes avec 20 000 ha.

Les cépages indigènes constituent un trésor inestimable, en grande partie encore à exploiter. En additionnant toutes les variétés, clones, dérivés, dénominations concurrentes, on en dénombrerait 350 ! Tenons-nous en à 200, dont 50 cultivés en volume suffisant et 30 connus du public.
– Les principaux, en blanc : Assyrtiko qui produit les vins de l’île volcanique de Santorin notament; Malagousia, un peu exotique; Robola, récolté sur l’île de Céphalonie, assez rare; ou Savatiano autour d’Athènes, résistant, un peu neutre.
– En rouge : Agiorgitiko (« Saint Georges »), foncé et intense, qu’on trouve dans toute la Grèce; Kostifali, en Crète; Mavrodaphné, qui produit les doux de Samos; Limnio, ou Xinomavro dans le centre et le nord. Et en raisin (à peau) rose : Moschofilero et Roditis. Et les contre-étiquettes sont remplies de bien d’autres dénominations pittoresques et enchanteresses.
– Entre les cépages les moins connus ou négligés et les « cultivars » (variétés d’un même cépage), beaucoup d’expérimentations sont à l’œuvre : le meilleur des vins grecs est encore à venir.
– Les cépages « internationaux » sont également présents, Cabernet Sauvignon, Chardonnay, Merlot, Mourvèdre, Sangiovese, Sauvignon, Syrah, Viognier… qui varient considérablement selon les terroirs, les régions et les producteurs, et sont assemblés aux cépages locaux avec de multiples variantes et combinaisons.

Une stupéfiante variété à la fois typographique, climatique et de terroirs offre une extrême diversité de crus. En Péloponnèse par exemple, les vignobles sont nombreux, peu étendus, situés à la fois en plaine, en coteaux et en altitude (jusqu’à 1000 m); ils sont influencés par l’air marin mais de façon très variable, plus ou moins exposés aux vents de la mer Égée (meltem), aux vents froids du nord, ou chauds venant d’Afrique. L’humidité varie énormément: 920 mm de pluie à Pyrgos (à l’ouest, non loin d’Olympie); 780 à Mantinea et 410 à Nemea distants de moins de 50 km (centre est).

La jeunesse des acteurs de la filière est frappante. L’essor du nouveau vin grec date en gros d’une quinzaine d’années, il s’agit souvent de la 1ère génération de professionnels qui apparaissent inventifs dans leurs recherches ampélographiques – le mot ampelos (vigne) ne vient-il pas de chez eux ? -, passionnés par la vinification, attentifs aux goûts de leurs hôtes, ambitieux.

A) MERCREDI 26 MARS 08 MATIN

Cave ŒNOFOROS à Selinous, près d’Egion (200 000 b/an en appellation « Côtes d’Aigion » et « Patras ») (1). Reçu par Angelos ROUVALIS, œnologue du domaine et son collaborateur Tasos Driosadis.

L’excursion dans les vignobles surplombant le chai, offrant une vue panoramique sur le golfe de Corinthe jusqu’à la mer Ionnienne vers l’ouest et les monts Killini et Ziria vers l’est,  » l’un des plus beaux sites vinicoles au monde » selon Yorgos Papapanayotou, accompagnateur du HEPO (Organisme hellénique du Commerce extérieur) organisateur du voyage, est annulée faute de temps.

(1) La viticulture grecque s’est inspirée à peu près entièrement de la réglementation vitivinicole française — les appellations et dénominations, mesures et termes techniques, etc. sont libellés en Français. « Aigion » est transcrit de l’orthographe grec (Egio).

DÉGUSTATION de 2007 pour la plupart, de producteurs du district d’ACHAÏE (EGION et PATRAS), et de l’île ionienne de CÉPHALONIE.

• BLANCS :
Tétramythos – un Roditis pur, et un Sauvignon 100% récolté à 1000 m, tous deux marqués par une acidité assez agressive.
Gentilini – un Robola de caractère (cépage assez rare, venu d’Italie, identique au Ribolla d’Italie), équilibré entre finesse et puissance, qui ne voyage guère hors de l’île car fragile (30 000 b/an, 16 €). Gentilini cultive 300 ha la plupart en hauteur sur cette île de Céphalonie proche d’Ithaque, et produit en bio une belle gamme de vins raffinés (**).
Œnoforos – un « Astrolithi », signé Angelos Rouvalis au haut de l’étiquette, Roditis « à l’acidité naturelle » nous est-il précisé – la chaleur de l’été même en altitude (500 à 900 m) pouvant inciter certains viticulteurs à rectifier la mollesse du mûri par de l’acide citrique, parfois exagérément (11,5°).
Cavino – un semi-mousseux doux en cuve close, assemblé de Muscat et de raisin de table, assez séduisant. Cavino a une gamme variée de quelque 30 vins dont la qualité progresse régulièrement.
Antonopoulos – un « Mantinea » Moschofilero 100% cultivé à 650 m en Arcadie, d’un pâle rosé, aux arômes bien équilibrés entre rose, citron, poire, jasmin; original et honnête; devrait bien venir sur des plats épicés (10 €); et un « Adoli Ghis » assemblé de Lagorthi (60%), d’Asproudes, Roditis et Alepou (30%), et de Chardonnay (10%), aux reflets jaunes verts, joliment fruité avec des notes de kiwi et de pamplemousse (10-12 €).
Kotrotsos – un Chardonnay (5 €), et un Moschofilero « Erasmios » (9 €).
Tétramythos – un Roditis pur, et un Sauvignon 100% récolté à 1000 m, tous deux marqués par une acidité assez agressive.
Gentilini – un Robola de caractère (cépage assez rare, venu d’Italie, identique au Ribolla d’Italie), équilibré entre finesse et puissance, qui ne voyage guère hors de l’île car fragile (30 000 b/an, 16 €). Gentilini cultive 300 ha la plupart en hauteur sur cette île de Céphalonie proche d’Ithaque, et produit en bio une belle gamme de vins raffinés (**).

• ROUGES :
Mega Spileo (Cavino) – « Grande Cave » 2004, l’un à 60% Mavrodaphné et 40% Mavroudi, appelé aussi Mavro Kalavritino (« noir de Kalavrita »), vendangé à 850 m tardivement, 14 mois de barrique, beau vin au nez de moutarde et de fleur; l’autre Syrah 100%, net au nez, acide en bord de bouche, charnu, qui doit encore attendre.
Tetramythos – un « Milia » assemblé de Mavro Kalavritino (70%), Merlot (20%) et Cabernet sauvignon (10%), élevé 3 mois en barrique, fort bien fait.
Œnoforos – un « Mikros Vorias », Merlot (65%) et Cabernet sauvignon (35%), macéré à froid à 10% et micro-oxygéné après fermentation malolactique, dont l’assemblage bordelais typique est pourtant fort différent de ce qu’on peut trouver en Médoc (12,8°); et un « Ianos » 2004 Cabernet sauvignon 100% (13,6°), bien mûr en évitant le confituré (10-11 €).
Kotrotsos – un Agiorgitiko 2006, de Nemea.
Antonopoulos – un Mavrodaphné 100%, hors catalogue : sur l’étiquette, les personnages emblématiques qui ont inspiré l’aîné des Chalikias, successeurs de la famille Antonopoulos – Joséphine Baker, Mata Hari, Graham Hill et le sherpa Tenzing, accompagnant Hillary au sommet de l’Everest en 1953. Les quatre figures lui sont apparues en rêve et lui ont tous dit : « Je peux ». Et ce vin n’est pas une velléité, *1/2.
Gentilini – un « Syrah » 2006 (85% Syrah, 15% Mavrodaphné), 12 mois de barrique, qui évolue entre le charpenté et le fruité-épicé, un peu aérien – la vigne pousse en altitude -, on regarde vers le nord et les clients exigeants qui ont les moyens (20 €), **1/2.

B) JEUDI 27 MARS 08 MATIN

Ci-dessus 25 août 2007, incendie de montagne non loin de Brintzikis. Photo Nikolas Giakoumidis/AP.

chai de BRINTZIKISÉtape au chai de BRINTZIKIS et dégustation d’un rouge 2007 récolté juste après les terribles incendies d’août 2007 qui ont impacté fortement la région (sur les coteaux et le long des petites routes vallonnées, beaucoup de bosquets calcinés ont été abattus) et ont grillé le pourtour de certains vignobles : « La fumée noire était si intense que le soleil n’a pas percé plusieurs jours de suite » explique le propriétaire, ajoutant : « En Grèce on manque d’eau, et s’il arrive qu’il pleuve, ça sèche aussitôt ». Le vin de couleur un peu trouble a effectivement un goût de fumée loin d’être désagréable.

Visite du domaine MERCOURI à Korakochori (« le village du corbeau »), reçu par Vasilis Kanellakopoulos, directeur général (20 ha de vignes et 10 en oliveraie). Mercouri est l’un des plus anciens vignobles du pays, d’abord de raisin de Corinthe au XIXème siècle, puis à partir des années 30 de vignes à vin, devenu résolument professionnel au début des années 90. Élégamment ordonnancé, le domaine est situé le long du canal de Corinthe, dominant une petite baie incurvée avec une plage privée, fréquenté par de nombreux paons criards. L’exploitation est moderne tout en conservant intact son aspect de demeure familiale 1870.

Le vignoble est planté en Refosco (cépage du Frioul, identique à la Mondeuse noire de Savoie), en Mavrodaphné et Avgoustiatis; des expériences en séries limitées sont en cours sur une quinzaine d’autres cépages (2). Mercouri produit 70-80 000 b/an et vise les 100 000 à l’horizon 2010; sont également produits les blancs secs « Foloi » et « Foloi fumé » (40 000 b/an) d’un Roditis cultivé à 450-650 m sur le mont Foloi; et un vin doux de Mavrodaphné et de Korinthiaki (raisin de Corinthe), le « Chortes ». Mercouri se lance dans l’œnotourisme et prévoit d’ouvrir un gîte de luxe l’année prochaine.

(2) Assyrtiko, Agiorgitiko, Grenache, Merlot, Mourvèdre, Negroamaro (ou « noir amer » provenant d’Apulie au sud de l’Italie), Ribolla gialla (du Frioul, sans doute à l’origine du Robola), Sangiovese, Tourkopoula, Viognier.

Le Domaine Mercouri à Korakochori

Le Domaine Mercouri à Korakochori

DÉGUSTATION

Chez MERCOURI de vins 2003 à 2007 de producteurs des districts d’Ilie – BRINTZIKIS, MERCOURI, STRAVROPOULOS ; et de Messénie – DERESKOS ; en leur présence et celle de Dimitris Skaphidas, oenologue de Mercouri.

• BLANCS :
Stravropoulos – un 100% Assyrtico 2007, avec une bonne acidité, 9 € (**).
Dereskos – Chardonnay pur 2007 vendangé le 28 août, taux d’acidité 6%/l, 8 €.
Brintzikis – un 2007 100% Roditis bio vieilles vignes, moins acide, 6,5 € (*); et un Chardonnay 100% de 2006, nez fumé et fin de bouche fruitée mûre, 9,5 €.

• ROUGES :
Mercouri – un Refosco (85%) – Mavrodaphné (15%) 2005, touches fruitées amères, acidité et tanins présents à égalité, 10 €; un « Adaris » (« tonnerre ») 2005, Mourvèdre (60%) et Avgoustiatis (40%), plus rustique, 11 €; un « Cava » (ou « Réserve ») de 2004, Refosco à 80% et Mavrodaphné (20%), évolué et bien fondu, 15 € (*) ; et un 1997 du même assemblage, qui tient bien.
Stravropoulos – un « Tesserpokilies » 2006 assemblant 4 cépages (Assyrtico 20%, Avgoustiatis 20%, Cabernet sauvignon 10%, Merlot 50%), frais et net, un peu comparable à certains riojans micro-oxygénés en cuve « destiné à un public appréciant le rouge léger sans boisé, en Allemagne notamment » explique le propriétaire, 10 € (*); et un 100% Merlot de 2003, bien composé, équilibré et droit, 14 € (**).
Dereskos – un assemblage 50-50 Cabernet sauvignon/Agiorgitiko 2005, au nez de fumé qui persiste en bouche, sans grande structure, 15 €.
Brintzikis – un Avgoustiatis 100% de 2005, dont le nez très particulier a paru comme éventé et maltraité par le passage dans le bois de barrique. 12 €.

NB. Notation : entre 1* à 5 *.

C) RÉFLEXIONS POST-DÉGUSTATION

Mon impression d’un milieu grec du vin en pleine dynamique se confirme : beaucoup de progrès depuis une quinzaine d’année et la volonté des viticulteurs rencontrés de passer à la vitesse supérieure pour atteindre un niveau global de qualité indiscutable. Les combinatoires terroirs/meso climat/travail de la vigne/techniques de vinification sont encore loin d’être entièrement explorées. Quinze ans sans doute sont encore nécessaires pour y arriver.

Quelques réserves :

les prix, notamment en blanc, paraissent élevés comparativement aux Toscans ou Riojans-Navarrais, et aux Languedoc, Bordeaux Supérieurs, Provence, même côtes-du-Rhône méridionaux.

Une vinification parfois approximative : le boisé peut apparaître encore mal maîtrisé; la cohabitation des tannins et de l’acidité peut relever du grand écart; problèmes de maturité et fautes d’extraction : on voit que le soleil hellène peut quelquefois n’être plus « l’astre bienfaisant », mais martyriser légèreté et fraîcheur.

Websites généraux: allaboutgreekwine.com, greekwinemakers.com, atheneeimporters.com.
Domaines
visités: mercouri, gentilini, brintzikis,