D’après PHILIPPE DORA / AUJOURD’HUI LA CHINE, 22/11/2012

En préalable aux reportages à venir sur le vin en Chine, nous publions un récent entretien du flying winemaker star Michel Rolland, qui s’attaque désormais au marché du vin chinois, en forte expansion. Il y multiplie les séjours pour améliorer la qualité des crus qui selon lui, peuvent bouleverser le monde du vin.
Libre interview depuis le
Stan Café français de Hong Kong.

Quel est l’objet de votre présence en Chine ?
Je viens en Chine deux fois par an comme consultant pour le groupe chinois d’agro-alimentaire Cofco, propriétaire de la marque de vin Great Wall, premier producteur de vins en Chine avec 140 millions de bouteilles par an ! Je ne suis pas consultant pour ces 140 millions de bouteilles… mais, avec mon assistant, nous essayons de développer un programme d’amélioration des vins dans certaines des propriétés de la marque : Junding, Hua Xia, Sun Gold.

Pourquoi le géant chinois Cofco est-il venu vous chercher à Pomerol ?
C’est une coïncidence ! J’étais le conseiller du Château de Viaud à Lalande de Pomerol et lorsque le groupe Cofco a racheté ce château, ses dirigeants ont confirmé cette collaboration et ont souhaité l’étendre en Chine sur certaines de leurs productions pour former leurs équipes, les sensibiliser à la qualité des vins et faire en sorte qu’elles fassent des vins de qualité. C’est pour cela que je suis venu en Chine !

« La Chine est une machine en marche et elle ne s’arrêtera plus. La consommation de vin y augmente tous les ans et va continuer à augmenter. »

 

Améliorer la qualité des vins chinois, c’est votre valeur ajoutée ?
Il faudra quand même un peu de temps pour y arriver. La Chine est une machine en marche et elle ne s’arrêtera plus. La consommation de vin y augmente tous les ans et va continuer à augmenter. Il faut également que le nombre de consommateurs augmente. J’ai toujours considéré que pour cela, il fallait produire des vins qui puissent les intéresser ou leur faire plaisir. Comme toutes les populations du monde, les Chinois commenceront par boire des vins nationaux et pour cela il faut que ces vins soient décents pour le consommateur. Je ne dis pas que l’on fera tout de suite des grands vins en Chine car il y a des problèmes climatiques, mais je pense que l’on peut faire bien meilleur. Et l’intérêt de toute la production mondiale c’est d’essayer de faire  des meilleurs vins en Chine. Avec mes collaborateurs, nous y travaillons pour améliorer les vignobles et la façon de faire les vins pour que les Chinois consommateurs aient envie de consommer du vin chinois, et s’ils ont envie de consommer du vin un jour ou l’autre, ils viendront consommer des vins d’autres pays de la planète.

Comment avez-vous vu évoluer le marché du vin en Chine ?
Je suis venu en Chine la première fois en 1996 et avant de voir évoluer ce marché,  je l’ai vu naître car, Hong Kong mis à part, il n’existait pas. J’ai vu naître la consommation en Chine ainsi que sa croissance qui est toujours exponentielle. C’est un marché phénoménal pour la production de vin dans le monde, on ne peut que s’en réjouir ! Sur ce marché, il y a peut-être 300 millions de personnes avec le pouvoir d’achat et l’envie culturelle de connaître le vin. 300 millions, c’est quatre fois le potentiel que nous avons en Europe ! Et les Chinois consommeront de plus en plus de vin car c’est une volonté étatique : les Chinois ont un problème relationnel avec l’alcool, et le vin, moins alcoolisé que les alcools forts, correspond mieux au niveau de la santé publique correspondant à la volonté de l’État chinois. Nous verrons donc obligatoirement la consommation de vin se développer, ce qui pour nous est quand même assez extraordinaire.

« Nous »… les Français, les producteurs du Bordelais, les producteurs en général ?
Pour nous les producteurs ! Je suis mondialiste !

Et Michel Rolland « producteur« , ce sont combien de domaines et de vins dans le monde ?
Sans trop entrer dans les statistiques, je possède cinq Châteaux à Bordeaux avec cinq appellations différentes: La Grande Clotte, un Lussac Saint Émilion; Fontenil, un Fronsac; Rolland-Maillet, un Saint-Émilion; Bertineau Saint-Vincent, un Lalande de Pomerol; et Le Bon Pasteur, notre « étendard », un Pomerol. En Espagne nous possédons le Campo Eliseo dans la vallée du Duero. En Afrique du Sud, notre vin s’appelle Bonne Nouvelle. Et enfin en Argentine, j’ai développé trois domaines : Val de Flores, Mariflore et Yacochuia. L’activité de production de la famille ce sont 200 hectares de vignes et 50 000 caisses de vin chaque année.

Et votre activité de consultant ?
Aujourd’hui je fais du consulting avec sept collaborateurs dans quatorze pays différents. J’interviens encore personnellement dans une centaine de propriétés, en France surtout à Bordeaux et dans treize autres pays. Je voyage pour cela six mois par an. Avec mes collaborateurs nous sommes derrière plus de 650 étiquettes, ce qui n’est rien au niveau de tous les vins produits dans le monde, mais c’est beaucoup au regard d’un emploi du temps lorsque vous voulez vous en occuper convenablement !

Comment faites-vous pour concilier votre position d’œnologue-conseil mondialement reconnu avec celle de producteur pour positionner vos propres vins sur le marché ?
Pendant longtemps je ne me positionnais pas, plus par pudeur et modestie, c’était l’un de mes problèmes (rires) ! Le vin c’est du business, pour le produire, ça coûte ! Et un jour il faut le vendre ! Aujourd’hui mes deux filles et mon gendre travaillent avec moi, donc je me positionne un peu plus que je ne l’avais fait jusqu’à présent ! Je fais un peu la représentation des vins de la famille dont je suis le chef de file et dont j’assume tout, même la mauvaise qualité si il le fallait. Mais ce n’est pas le cas, nos vins sont très bons ! […]

Avec autant de vins de qualité dans le monde, les vins français ont-ils toujours une longueur d’avance sur les autres ?
Il est vrai que l’on trouve des très bons vins et peut-être de grands vins partout dans le monde, mais lorsque vous buvez un La Tache, un Latour ou un Pétrus exceptionnels, cela n’existe nulle part ailleurs. C’est cela la qualité du vin français !
Vous pouvez boire un Napa Valley qui va complètement exploser n’importe quel vin de Bordeaux qui ne sera pas à son meilleur niveau, mais lorsqu’il est à son meilleur niveau, c’est vraiment la référence incontestable. C’est l’avantage de la France. C’est un peu comme la haute couture par rapport à la couture ! L’Italie réussit bien, les USA, le Japon réussissent bien, mais lorsque c’est grand c’est quand même Français !

« Il y a peut-être 300 millions de Chinois avec le pouvoir d’achat et l’envie culturelle de connaître le vin. Et ils consommeront de plus en plus de vin car c’est une volonté étatique. »

Quel effet cela vous fait-il d’être accueilli comme une rock star en Chine et quel discours tenez-vous ?
C’est très amusant ! D’abord, il faut apprendre à signer des autographes ! L’accueil des Chinois est très sympathique parce qu’il est sincère. Les gens viennent vous voir un peu par curiosité mais toujours avec sincérité, gentillesse et reconnaissance. Je leur dis surtout d’être des consommateurs de vin, d’aimer le vin, de se faire plaisir en le buvant. Je ne leur dis jamais d’acheter du vin pour montrer qu’ils sont les plus puissants. Le phénomène existe en Chine mais il y a aussi de vrais consommateurs de vin.

Un souvenir particulier de ces rencontres ?
Il y a quelques jours, je faisais déguster lors d’un dîner le vin le plus modeste de la gamme Rolland, La Grande Clotte rouge, un vin qui se vend aux alentours de 200 yuans (24 €). Nous étions à une centaine de kilomètres de Shanghai et, contrairement à Shanghai où pour épater des gens qui un peu comme à Paris ont tout, il faut vraiment en faire un maximum, les deux cent convives présents ne connaissaient pas le vin. Ils sont venus pour passer une soirée, parler avec moi, goûter ce vin. À l’issue du dîner ils sont venus me voir en me disant « c’est formidable, on a passé une bonne soirée, on a appris plein de choses sur le vin… ». Il faut faire de l’éducation, amener les gens à avoir envie de consommer. Faire la promotion des vins n’est pas vraiment mon métier, mais quand je le fais, je le fais avec cœur et enthousiasme comme tout ce que je fais !

Votre réussite en France comme à l’étranger ne crée-t-elle pas certaines jalousies ?
Vous avez trois étapes dans une vie : la première, personne ne vous connaît et vous vivez heureux ! La seconde c’est lorsque l’on commence à vous connaître et ça en dérange certains. C’est la plus difficile à gérer car vous vous apercevez que vous avez des ennemis sans savoir pourquoi mais tout d’un coup des gens qui disent du mal de vous sans vous avoir jamais rencontré ni parlé et vous le savez car on s’empresse de vous le rapporter… La troisième étape qui malheureusement est un peu proche de la fin, c’est lorsque l’on s’aperçoit que l’on a pas pu vous détruire et que, comme vous avez survécu, à ce moment là tout le monde est plutôt sympathique avec vous. Je suis dans cette troisième phase et le seul désagrément qu’elle a, c’est que j’ai 65 ans et que je suis plus près de la fin que du début mais c’est quand même une phase plutôt sympathique…

Et comment le petit-fils de vigneron de Pomerol vit-il cette phase de réussite « sympathique » ?
J’ai une culture catholique et j’espère une chose, c’est que mon grand père Joseph Dupuis qui est décédé lorsque j’avais douze ans me voit depuis son éternité, ça me ferait plaisir. J’y pense souvent. Ma maman Geneviève Dupuis qui à 94 ans est aujourd’hui la doyenne de Pomerol, est très heureuse et fière de ma réussite. Mais je pense que je dois beaucoup de choses à mon grand-père, c’est lui qui m’a certainement appris ce qu’était le temps, la météo, les choses basiques de la nature, qui m’a donné cet amour de la nature. Je suis devenu le « flying winemaker », un œnologue international « endimanché » comme je le dis en plaisantant, mais je garde un amour profond pour la nature, la viticulture, pour tout ce qui tourne autour de la terre et des gens. Lorsque l’on est paysan dans l’âme, on aime le contact, on aime parler et je pense que c’est mon grand-père qui me l’a communiqué sans que je m’en aperçoive. Ça a été vraiment très fort et ça le reste.

Propos recueillis par Philippe Dora pour Aujourd’hui La Chine le 22 novembre 2012, à Hong Kong. Photographies de Philippe Dovar. Intertitres de Mmmm… ton vin!