DANIEL J. BERGER

Cette lettre est la première d’une série écrite en Toscane du 1er au 5 décembre dernier, lors d’un voyage-dégustation organisé par la FIJEV*, à l’occasion de la remise des prix annuels des meilleurs vins toscans décernés par la Région .
Les propriétés où je me suis rendu ont vu un ou plusieurs de leurs vins primés en 2010.

Défilent les cyprès en haut des crêtes. Jaunissent les petits chênes. Tournicote la route en lacet parmi les centaines de collines depuis Florence jusqu’à Montepulciano. Un paese aux représentations un peu sublimées par l’inconscient et dont je constate à chaque visite l’ordonnancement « culturel » — haut des collines soigneusement coiffé d’un castello, dessin minutieux des chemins de terre bordés de cyprès en baguettes, menant à des villas de toutes nuances de rose, entourées graphiquement d’oliviers et de jardins.

Les vignes sont tout ensoleillées, il fait doux, la neige de Paris hier est impensable ici aujourd’hui. Nous sommes arrivés au domaine Boscarelli, sur la colline de Cervognano di Montepulciano, chez Nicolò De Ferrari, à près de 300 m d’altitude.

À la mort subite de son père, Nicolò , son frère Luca et leur mère Paola — une femme viticultrice, aristocrate de surcroît (Marchesi De Ferrari Corradi), c’était inhabituel pour l’époque —, ont repris Poderi Boscarelli au grand-père Corradi, que le vin n’intéressait plus guère à cette période où la renaissance vinicole ne s’était pas encore opérée en Toscane. Leur terroir d’alluvions est l’un des meilleurs de l’appellation Vino Nobile. Ils en ont méthodiquement inventorié le sol, et les cépages qui à la fin des années 60, étaient réduits à un mélange moyenâgeux vendangé par un métayer solitaire qui n’avait ni électricité, ni chauffage et n’utilisait que son unique vache pour le labour des vignes.

Ils se sont dédié au prugnolo gentile, le nom du sangiovese cultivé ici et appellé aussi sangiovese grosso à Montalcino, le cépage exclusif du Brunello, du Rosso et plus largement du Chianti. Après restauration du vignoble puis agrandissement jusqu’à 14 hectares aujourd’hui, replantation parcellaire à une forte densité de 6 500 à 7 000 pieds/ha, modernisation du chai en collaboration de l’œnologue Maurizio Castelli à la réputation d’ayatollah, ils sont passés en vingt ans de 35 000 b à quelque 100 000. 80% de leur vignoble sont en sangiovese et les 20% restants partagés entre mammolo, canaiolo et colorino et quelques cépages « internationaux », merlot et cabernet.

Ce qui motive Nicolò c’est la qualité, selon l’idée qu’il s’en fait. Comme tout le monde il produit un super toscan — on en compte plus d’un millier aujourd’hui contre un vingtaine il y 25 ans —, mais pas celui de tout le monde : le sien. Et un IGT Toscana 100% sangiovese sans ces cabernet ou merlot qui composent, parfois en totalité, les supertoscans les plus renommés et aussi les plus chers, comme le Tignanello de la maison Antinori (75 €/b) ou l’Ornellaia de Frescobaldi (140 €/b !). À force de labeur et de choix sans concessions, le domaine Boscarelli a fini par trouver sa place dans le vaste panorama de Montepulciano.

Nicolò se veut un homme libre, libre de produire selon son goût — le fruit, le vert, le jeune, l’acidité plutôt que la puissance et la rondeur —, libre de chercher sans cesse la maîtrise du vieillisement en cuves et dans le chêne de l’Allier, de ses vins qu’il nous a fait déguster :
— le Rosso di Montepulciano Prugnolo 2008 (90% sgv, 10% mammolo), issu de jeunes vignes et fermenté en cuves de ciment, à vieillir encore 3-4 ans à mon avis. 20 000 b/an. 12 €.
— Puis un Nobile di Montepulciano 2007 (85% sgv, 10% cannaiolo, 2% colorino, 3% mammolo), l’assemblage traditionnel et qui tient à le rester : toujours vert et acide. 55 000 b/an. 19,50 €.
— Ensuite le Nobile di Montepluciano Riserva 2006 (étiquette noire), plus opulent et confortable en bouche. 10 000 b/an. 28 €.
— Enfin, le Nobile di Montalcino Nocio 2005, épargné par la chaleur cette (mauvaise) année-là du fait de l’altitude du vignoble, un petit terroir extraordinaire de 4 ha achetés par la famille De Ferrari en 1988, et dont il n’est produit que 6000 b/an. 42 €.

* FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES JOURNALISTES ET ÉCRIVAINS DU VIN