DANIEL J. BERGER

Cul b YquemLa première séance du Cercle de dégustation Mtonvin-Pierre Wagniart s’est déroulée le mardi 27 janvier dernier. Thème : « Mon âge… célébration des vieilles dames. »
Parmi les vénérables rescapées qui ont chacune leur histoire, une octogénaire, une sexagénaire, deux quinquagénaires, une quadragénaire dans
la fleur de l’âge, et des plus jeunes…

Lors cette première session, des informations ont été fournies aux dix participants au fur et à mesure  — provenance et millésime notamment –, mais pour maintenir le suspense et ménager les surprises, l’identité des crus dégustés à l’aveugle n’a été révélée qu’à la fin. La dégustation s’est déroulée autour d’un buffet.
Passons à l’examen des délices.

 


 

CortonN°1. Corton Domaine Chandon de Briailles 1988, Savigny-les-Beaune
(Avec des gougères)

L’âge n’avait pas encore entamé sa vivacité, ni la typicité minérale, ni sa capacité de garde. Très beau bourgogne blanc de race.
Non noté.

27 ans. 1 bouteille, offerte comme apéritif par Charles Mangani.

 

T de BessanN°2. Château La Tour de Bessan 1949, Margaux
(Foie gras avec ce vin et sur les trois suivants)
Carmin profond. Bouchon en état. Nez intéressant de pierres d’église ancienne, d’épices, de vieilles tentures, de terre. Arômes enfouis de confiture séchée.
La constitution du vin se tient : acidité encore présente, de la complexité, une certaine finesse malgré le manque de longueur. Un participant écrit: « né trois ans après moi mais mieux conservé. » Moyenne des notes: 13/20

66 ans. 1 bouteille. Margaux acheté par mon père Maurice Berger dans les années 50 au négociant de Sarlandie à Saint-Sauveur-en-Médoc. Seul ce vin subsistait après un cambriolage de sa cave dont avaient été soustraits les Hermitage et les bourgognes, plus à la mode à l’époque.

 

Mouton 1965N°3. Château Mouton Rothschild 1965, Pauillac.
Tuilé, cuir vieux. Bouchon en bon état. Nez restreint. Encore de la chair, de l’amplitude et de la puissance donnant du plaisir. Le vin s’est assoupli jusqu’à la confiserie, au confit, à la madérisation, mais la persistance atteste que sa grandeur initiale n’a pas disparu.

1965 n’a pas été perçu comme une grande année. Un dégustateur note simplement « agréable à boire. » Moyenne : 15,5/20

50 ans. 1 bouteille. Cadeau de mariage offert par un jeune producteur de cinéma qui l’avait prélevée dans la cave de son père, producteur confirmé.

 

2 BraneN°4. Château Brane-Cantenac 1961, Margaux.
Rubis-marron. Bouchon en état. Nez encore vif d’arômes de feuilles et de terre. En bouche une acidité vite volatile, le corsé est parti mais les tannins ont conservé de la vie, la puissance n’a pas disparu, encore ample et longue.
En 1961, Brane-Cantenac n’avait pas encore acquis sa superbe des années 80, confirmée en 2000. « Une vraie vieille dame » écrit l’un de nous. Moyenne : 15,75/20

54 ans. 1 bouteille, la dernière de 24 achetées dans une salle des ventes de province en 1974, enveloppées dans des paillons en caisse bois, dont le commissaire priseur m’avait dit qu’elle provenait d’un restaurant en faillite.

 

N°4bis. Château Brane-Cantenac 1996, Margaux
(Buffet : viandes froides rouge et blanche, salades mixtes et de poireaux vinaigrette).
Rouge sombre. Nez floral (sapin, cassis) un peu serré. Tanins bien présents en bouche. Après le précédent vin de 35 ans son aîné, il apparaît jeune (« trop jeune  » dit l’un de nous), et il ne nous a pas été possible de déceler une fraternité entre les deux, ce qui était l’objet de la confrontation. Moyenne : 13,75/20

18 ans. 1 bouteille (12 b achetées en primeur à La Passion des terroirs — Lucien Lurton).

 

N°5. Château Beychevelle 1994, Saint-Julien (buffet)Beychevelle 1994
Pourpre foncé. Nez de groseille qui se développe bien, un peu de fumé.
Peu acide en bouche, tannins épais, le vin est arrondi mais un peu pesant.
Il a bien son âge. « Plaisir, plaisir, plaisir » s’enthousiasme l’un de nous le notant 17,5.
Moyenne : 16/20

20 ans. 2 bouteilles, les dernières d’une caisse achetée en primeur à La Passion des terroirs — Lucien Lurton.

 

 

Yquem bouteilleN°6. Château d’Yquem 1928, Sauternesbouchon yquem 28
(Fromages: Etivaz, Comté, Cantal, chèvres Celles s/Cher, Chavignol).
Couleur vieil armagnac. Épaule à peine dégarnie. Bouchon effrité en débouchant. Nez de vieux madère. En bouche de la douceur à peine corsée, fanée, comme rancie. Mais on est surpris par l’intégrité conservée, le vin a viré mais il n’est pas défait.
Lyrisme des fiches : grande émotion; sublime; c’est de l’histoire; magnifique; une très vieille dame qui a gardé son parfum; Capsule Yquem 28 délicieux; Boudu sauvé des eaux.
Yquem
de longue vie, de bonheur, complexité ineffable de grand ancien devant lequel nous nous inclinons avec effusion. Conclusion momentanée, empruntée à Denis Dubourdieu : un grand vin se distingue par son aptitude au vieillissement. Noté 19/20

87 ans. L’âge des Oscars, elle le mérite cette bouteille, mythique, sauvée par Paul Pinet, mon grand-père maternel, des bombardements sur Calais le 22 mai 1940, elle avait alors 12 ans. Elle a suivi les pérégrinations de la famille jusqu’à moi, heureux de la partager ce soir au Cercle. Ce n’est plus un mythe, juste une bouteille vide.

 

 

Gilette 75N°7. Château Gilette, Crême de tête, 1975, Sauternes
(fromages puis tartes aux pommes).
Couleur or foncé. Nez discret d’arômes de sucrerie — vanille, miel, fruits confits. En bouche une robe souple et ample qui vêt un corps plus sec du à l’acidité encore là. Fraîcheur au cœur d’un bonbon. Les participants étaient sous le coup de l’Yquem et ont un peu délaissé ce Gilette plus vivant.
Le lendemain et le surlendemain (matin, à jeun), il était encore mieux, corsé, gras de fruits benoîts — mangue, orange, abricot — avec des touches de caramel, et d’une réelle longueur (20-30′ en bouche). Quand un sauternes est grand, on ne saurait lui chercher de défaut. Noté 18,5/20.

40 ans. 1 bouteille surprise déposée par un ami de notre fils Kevin, Denis Friedman, avec lequel j’avais parlé de ce vin exceptionnel élevé 20 ans en cuve avant mise en bouteille : le vin n’avait donc que 20 ans le soir de la dégustation du Cercle ! Merci Denis. Élevé par la famille Médeville à Preignac.

 

 

Alentejo BorbaN°8. Adega de Borba, 2011, Alentejo
(avec les tartes aux pommes)
Couleur foncée. Nez de fruits murs. Légère amertume, solide et nourrissant. Ce que peut faire de mieux une cave coopérative de l’Alentejo au Portugal.
Le contraste avec les vins vieux précédents ne peut les faire oublier.
Non noté.

 

 

Participants : Anne et Pierre Wagniart, Danièle et Jean-Jacques Lobel, Isabelle et Pierre Karsenti, Charlie Mangani, Vincent Dreux, qui ont apporté les mets; et Bully et Daniel Berger qui ont reçu et assuré la dégustation.

Les bouteilles étaient masquées et servies aux participants dans des verres Mikasa 32 cl. Le nombre de participants, dix, s’est révélé propice à la concentration et au partage.  La séance s’est déroulée de 19h30 à 22h30.
Le lieu et la date de la prochaine seront annoncés courant mars 2015.

Rappel du fonctionnement du Cercle de dégustation Mtonvin-Pierre Wagniart.
La raison d’être du Cercle est la dégustation approfondie de très grands vins, partagée et commentée en groupes de 8-10.
La dégustation a lieu au domicile du membre invitant, d’abord en apéritif puis lors d’un buffet ou d’un dîner préparé par lui, avec l’aide des invités qui apportent un plat.
Il s’agit d’un groupe informel, sans nécessité de statuts ni de cotisation.

Les séances du Cercle sont trimestrielles et se tiennent de 18h30 à 21h30, sur le modèle de la réunion initiale de lancement tenue chez Pierre Wagniart en juin 2014 où ont été dégustées dans l’ordre : Condrieu Côtes de Vernon 2009 de Georges Vernay; Duhart-Milon 1989; Lafite Rothschild 1990; Léoville Las Cases 1982.

Le membre invitant
— a le choix des invitations, dans un esprit de réciprocité, les participants « rendant » l’invitation chez eux.
— Établit le thème et le programme — par ex. millésime, ou cépage, ou terroir, ou région/pays, ou autre.
— Fournit les bouteilles (3-4 vins) qui peuvent lui être apportées par les invités. En cas d’achat, les invités contribuent.
— Une fois par an, les membres qui n’ont pu participer à l’une ou l’autre des séances sont conviés à une séance élargie dans un restaurant (ou un lieu remarquable).
— Les participants sont les premiers inscrits, dans la limite fixée de 8-10 personnes.
— Un compte-rendu de chaque séance est mis en ligne sur le blog mtonvin.net.

NB. La possibilité de situer une séance hors Paris, éventuellement prolongée sur une week-end, sera évoquée en fin d’année 2015, ainsi que l’invitation de personnalités extérieures qualifiées.

Prochaine séance : avril  ou mai 2015