Troisième d’une série de dix posts sur un voyage organisé par les syndicats des appellations Graves et Pessac-Léognan pendant les vendanges 2014.
Chaque article fait référence à un écrivain.

3. CHÂTEAU CÉRONS, GRAND VERTIGE
Inspiré par Frédéric Beigbeder (Oona et Salinger)

Les Graves du sud ont de l’antériorité, le château Magneau existait en 1510, le château Piron est dans la même famille depuis 1600… Trois siècles d’avance sur le Médoc qui au nord de Lesparre, n’était que marais.*  L’âme de Bordeaux se trouve ici depuis toujours pense intimement le vigneron des Graves.

Elle et luiL’âme certainement, et le cœur autant, de Xavier et Caroline Perromat qui bat à l’unisson à Cérons. S’aimer peut être dangereux. Xavier a convaincu Caroline de partager avec lui une vraie aventure, celle de la refondation du domaine familial dont il a racheté les parts à ses frères et sœurs, pour la mener seul avec elle.
Et pour relancer la plus confidentielle appellation du bordelais, Cérons, dont la superficie varie selon les fiches techniques d’une trentaine à une centaine d’hectares.

Des moelleux/liquoreux plus légers et nerveux qu’à Barsac ou Sauternes, sublimes de douceur, de complexité, d’élégance, mais… difficiles à vendre. Grand vertige.

 


 

3 vins de ceronsVingt six  hectares sur un grand plateau de graves au sous-sol de calcaire à astéries, produisant dans les trois couleurs : le graves rouge (bientôt 16 ha, 3 restant à replanter); le Cérons, le « vin d’Or de Bordeaux » liquoreux, qui s’épanouit dans un microclimat où à l’automne la brume moîte de la rivière Ciron développe la fameuse pourriture noble; et le graves blanc sec, très raffiné.

Caroline faisait partie de l’équipe de communication de Château Haut Bailly à Léognan, l’un des 16 crus classés de Graves. Xavier s’occupait des vignobles familiaux, 160 ha sur cinq propriétés sur les deux rives autour du domaine. On a l’impression qu’ils sont comme Oona et Salinger, quand elle lui demande :
Pourquoi moi ?
— Pardon ?
— Pourquoi m’as tu choisie ?

Xavier répond pas que pour ses yeux bleus, elle a l’intelligence du vin Caroline, et elle veut le faire aimer aux autres.

Le chai est en complète reconstruction : ci-dessous le niveau sous la halle de vendanges.

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Xavier  dit que la halle de vendange est d’un accès facile aux tables de tri. Les grappes arrivent nettoyées par une trieuse embarquée qui secoue les grains pourris. Sa fréquence peut être réglée de 200 à 2 000 points par seconde, c’est très précis, il insiste. La vendange descend par gravitation dans les cuves en sous-sol, sans pompage, c’est-à-dire sans brusquer le raisin, une cuve pour chaque parcelle. La cuverie des rouges en ciment est thermo-régulée (radiateur à l’intérieur). Une fois le chantier fini, nous ferons visiter le chai, depuis le début nous croyons à l’œnotourisme. Caroline a redessiné le parc. Nous prolongeons les changements entrepris par nos parents depuis 60 ans. Entreprendre et non posséder.

Julien BellePassage de Julien Belle, l’œnologue de la propriété (ci-contre). Il dit qu’il faut savoir quel jour cueillir, ne pas trop attendre pour vendanger les sémillons sinon risque de flétrissure, les moments sont cruciaux. Il fait beau depuis plus de trois semaines, et même si on ne rattrapera pas entièrement le manque de soleil de l’été — c’est l’août qui fait le moût –, il y a de la matière, plus qu’en 2013, l’état sanitaire est parfait, les pépins goûtent bien, l’épaisseur des peaux est bonne, on reste dans le noble.

Caroline et Xavier ont le regard des miraculés, ils serrent leur chance.

Pour le rouge, on attend la semaine prochaine pour vendanger les merlots** en guettant le moment du meilleur rapport pellicule/jus. Les blancs secs seront vendangés dans sept à huit jours. En parallèle commence la première trie des raisins botrytisés pour les liquoreux, et cela va durer tout octobre. Après, la vinification va reposer sur la maîtrise de l’oxygène.

Le grand salon restauré par le père de Xavier est imposant d’âge, murs gris bleu, vides de meubles, seul un autel présente les vins du domaine dans une armoire encastrée, devant laquelle se tiennent les dégustations.salon cerons

Caroline dit qu’ils croient « à mort » au liquoreux de Cérons, plus moderne que le sauternes, c’est l’autre moelleux, un vin pour les jeunes, qui taquine le palais, au fruité si particulier, tellement frais et léger par rapport aux autres liquoreux.

Laissons la conclusion à Michel Bettane.

16,5/20 — Le rouge 2012 du Château de Cérons n’est pas né dans une année facile mais sa netteté de fruit, sa souplesse, sa tendresse noble de tannin le rendent immédiatement délectable, montrant à tous ce qu’est l’équilibre dans un vin rouge et ce que Bordeaux fait le mieux au monde dans ce domaine.

Très courageusement, Caroline et Xavier Perromat ont repris cette propriété naguère célèbre de Cérons et mettent toute leur énergie et leur passion à lui faire à nouveau produire de beaux vins. Ce terroir, tout comme celui du plateau d’Illats voisin, est scandaleusement méconnu du public car sous-exploité par la majorité de ses producteurs. Dès que la viticulture se règle et que la vinification a la précision nécessaire, on s’émerveille de ce qu’ils peuvent réussir tout autant des blancs secs raffinés et savoureux, des liquoreux faits pour notre époque tant ils conservent de légèreté et de fraîcheur, et des rouges rivalisant avec les plus grands de la partie nord des graves.

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DANIEL J. BERGER

 

 

 

À SUIVRE : D’UNE FAMILLE L’AUTRE

* Après celle des Graves, la poldérisation du Médoc commence en 1599 et se poursuit au XVIIème avec le concours d’entrepreneurs hollandais et flamands — qui ont appelé « Bruges » la zone à la lisière de Bordeaux — sur le territoire des actuels Talence, Bègles, Gradignan, Mérignac, Pessac, Bacalan ou Blanquefort. C’est alors une mesure de salubrité car les marais sont un foyer de propagation de la peste.
Dans le Médoc, sous l’impulsion du duc d’Epernon, on assèche à partir de 1622 les territoires de Meyre, Lamarque, Cussac, Espartens, Beychevelle, Saint-Julien, Saint-Mambert, Goullée, Richard, Saint-Vivien, Talais, Soulac, soit 5 300 ha (renseignements : carte de Clerville, 1650). Le draînage s’effectue par creusement de chenaux (jalles et esteys) se déversant dans la Gironde; et par une digue construite au XVIIIème depuis Lesparre jusqu’au Verdon, à l’embouchure de la Gironde.
L’assèchement des terres permet d’abord une agriculture vivrière, mais rapidement les négociants en vins découvrent que les sols y sont semblables à ceux des Graves, on disait d’ailleurs les « graves du Médoc ». Le financement est ensuite assuré par les plus fortunés d’entre eux, certains provenant d’Angleterre et d’Irlande, d’autres de Hollande et d’Allemagne, et qui sont restés pour planter et exploiter des vignes.
L’assèchement s’est poursuivi jusqu’au XXème siècle.
** Précisions sur les cépages en vigueur dans les Graves — en blanc : sauvignon, sémillon, muscadelle; et en rouge : cabernet-sauvignon et cabernet franc, merlot, malbec (ou cot), petit verdot.
Au château de Cérons, les blancs sont assemblés à 50% sémillon, 40% sauvignon et 10% sauvignon gris; et les rouges à 55% cabernet-sauvignon et 45% merlot.
Les « Graves Supérieures » sont des moelleux produits autour de Barsac et Sauternes sans en avoir l’appellation, donc vendus meilleur marché, issus majoritairement du sémillon + sauvignon et muscadelle. La production est en baisse.