Septième d’une série de dix articles sur un voyage organisé par les syndicats des appellations Graves et Pessac-Léognan pendant les vendanges 2014.
Chaque article fait référence à un écrivain (sauf celui-ci).

Dégustation des Pessac-Léognan et crus classés de Graves à SMITH-HAUT-LAFITTE

En comparaison avec le Médoc ou la Bourgogne, on trouve peu de grands ouvrages ou de grands textes sur les vins de Graves, peu d’histoires sur l’Histoire des origines de Bordeaux, pas assez de thuriféraires ou d’avocats, de flux d’information, de buzz, d’images. Alors, le monde va-t-il comprendre enfin que Bordeaux produit des vins blancs, de grands vins blancs, de très grands vins blancs ? Voilà la question que je me pose le mercredi 24 septembre 2014 en arrivant à une dégustation des Graves et Pessac-Léognan 2013 et 2012 au château Smith-Haut-Laffite (à gauche, un jour de réception).

 


 

LES BLANCS

On sait maintenant que la haute qualité des blancs 2013, millésime très périlleux, est éloquente : les châteaux dégustés Ferran, Larrivet Haut-Brion, Le Sartre, La Louvière, Rouillac et Grandmaison sont tout à fait en capacité d’affronter les plus fins Puligny, Chassagne ou Meursaut en termes de profondeur, de vivacité, de complexité, de délicatesse aromatique.

Le couple sauvignon-sémillon des Graves blancs est loin d’avoir révélé toute l’étendue de son potentiel.
Le caractère minéral affirmé des crus classés Bouscaut, Carbonnieux, Couhins, Olivier notamment, dégustés ensuite, est l’un des traits distinctifs qui vont continuer de hisser la place des Graves au haut du tableau des grands blancs du monde, à côté de ceux de Bourgogne et d’Alsace, d’Autriche et d’Allemagne.

Notons la réserve de Michel Bettane sur leur période de croissance postérieure à leur jeunesse qui, elle, déploie charme et vivacité, force et densité, c’est une période ingrate « où le vin se rebiffe, fait sa mauvaise tête, sent parfois mauvais » sur une durée variable mystérieuse, jusqu’à ce qu’il « se réveille, harmonise tous ses constituants en les habillant d’un costume de miel d’acacia ou de pin, retrouve les embruns d’océan et l’invitation à partager le bar de ligne, la langouste ou le homard dignes de lui, comme nul autre au monde. » *

Concernant la dégustation des Pessac-Léognan et des crus classés de Graves 2013 et 2012, nous sommes dans la toute jeunesse et les risques de défauts évoqués plus haut ne se présentent pas.

Domaine SolitudeDans la catégorie Pessac-Léognan, j’ai apprécié en 2013 les châteaux Ferran pour son équilibre parfait, Larrivet Haut-Brion et La Louvière pour leur bouquet minéral, et pour cette raison Le Sartre en plus léger, et Cruzeau en plus puissant. En 2012, j’ai remarqué le joli Domaine de la Solitude (ci-contre) pour son fruit et son harmonie minéral-végétal.
Dans la catégorie CC de Graves 2013, j’ai préféré Latour-Martillac pour sa douceur végétale, ouatée, striée de traits minéraux maîtrisés, Malartic-Lagravière pour son fruit et sa douce sucrosité, et Bouscaut pour sa minéralité discrètement goudronnée. Sans oublier les 2012, Fieuzal pour son éventail d’arômes voluptueux qui le distingue, et Smith-Haut-Lafitte pour son élégance classique qu’une touche de fruits rend bien aimable, sans avoir pu m’empêcher d’emplir mes narines de la minéralité presque toxique de Couhins.

Les_CathiardLes autres vins présentés ** méritent aussi de très bonnes notes, ces 2013 sont souvent, je le répète, des chefs d’œuvre.

Et c’est un privilège de pouvoir les déguster rassemblés dans le décor prestigieux de Smith-Haut-Lafitte, accueillis par Daniel et Florence Cathiard (ci-contre), attentifs à nos commentaires et soucieux d’offrir les meilleures conditions de dégustation, de température notamment.

Très bon moment.

 

LES ROUGES

Logo GravesLes vins de Graves qui regroupent 2 400 vignerons, continuent d’être le secret le mieux gardé du vignoble bordelais. De par leur diversité sur les 40 km de l’aire d’appellation depuis Talence jusqu’à Langon (3 500 ha, 70% de rouges), et leur rapport qualité/prix souvent imbattable à 10 € en moyenne, ils allient arômes de fruits rouges, goût de terroir et structure tannique, en équilibrant leur encépagement — cabernets franc et sauvignon (arômes et charpente), merlot (souplesse) et petit verdot (épices).

Ce sont en majorité des vins distingués, au « goût anglais » — intègres et loyaux, peu exotiques, parfois un peu distants ou austères –, de bonne garde (5-15 ans) et aisés à appairer avec bien des repas. ***

Parmi les Pessac-Léognan 2011 rouges, j’ai été séduit par les châteaux Haut-Lagrange, pour son nez de coing et sa bouche fruitée, Seguin pour sa finesse, et La Louvière pour sa classe à tout point de vue (post à suivre). Sur Les Carmes Haut-Brion, je confirme mon impression de la dégustation du matin même — légères touches de salé, fraîcheur, grande garde potentielle ) : un « simple » Pessac-Léognan peut-être hors pair.

Et j’ai apprécié les châteaux de France (puissance et chaleur), La Garde (léger, salé, fruité), Léognan (vivacité, goût herbacé), Le Sartre (bouche en finesse après un nez légèrement urique) et Haut-Bergey (joli et frais).

Quant aux crus classés de Graves 2011****, j’aurais tendance à n’en pas distinguer l’un plus que l’autre, tant leurs qualités sont grandes — fruit, fraîcheur, palette aromatique, juste longueur — mais assez uniformes, sans que l’on puisse, en l’absence sur la table des Haut-Brion et de Pape Clément, et aussi de Chantegrive, chercher le très grand cru parmi eux, le millésime ne s’y prête pas vraiment, ou pas encore.

 

* Introduction à l’ouvrage Le Coeur de Bordeaux, Ed. de La Martinière, 2009.
** Pessac-Léognan : Bardins, Cantelys, de Cruzeau, Gazin-Rocquencourt, de Grandmaison, Haut-Bergey, Haut-Lagrange, La Garde, Lafargue, Lespault-Martillac, Luchey-Halde, de Rochemorin, de Rouillac.
Crus classés de Graves : Carbonnieux, Couhins, Couhins-Lurton, Olivier.
*** Surveiller les châteaux suivants : Lasalle, Crabitey, des Places, Méjean, Tour Bicheau, du Haut Maray, La Rose Sarron, Le Bourdillot, d’Uza, Le Bonnat, qui ont tous obtenu de bons classements (par: trophée des grands crus de Graves, guide Bettane & Desseauve).
**** Bouscaut, Carbonnieux, de Chevalier, Couhins, Couhis-Lurton, de Fieuzal, Haut-Bailly, Latour-Martillac, Malartic-Lagravière, Olivier, Smith-Haut-Lafitte.

DJB 3

 

 

DANIEL J. BERGER

 

 

 

 

À SUIVRE : CHÂTEAU LA LOUVIÈRE