DANIEL J. BERGER

Le laboratoire Oeno Team de Libourne avait rassemblé lundi 10 dernier au Café Salle Pleyel, une trentaine de ses clients venus en avance sur les Primeurs de Bordeaux (premiers jours d’avril) faire goûter leurs petits bébés : le 2013 va avoir du mal à sortir de ses langes.
Nous avons cependant rencontré de beaux vins de deux ou trois ans et plus, notamment ceux du
Château de Cérons (prononcer céronsse).

Après avoir dégusté quelques échantillons de 2013 à peine sortis du fût, amicalement choisis et servis par le professeur de dégustation Jacques Vivet — des jus en blanc comme en rouge sans grand intérêt, si ce n’est « déficients » comme dit un autre œnologue, Stéphane Derenoncourt —, je n’ai pas insisté et me suis rendu dans la grande salle de ce Café Salle Pleyel situé au 2ème étage, immense, violemment ensoleillé, où ne pénétrait aucun éclat de voix (de maître de danse), aucune note (de répétitions), pas de musica pour les vini.

On ne va donc pas s’étendre sur le millésime 2013 condamné dès avant sa récolte — quantités réduites, qualité insuffisante, pire récolte depuis 1991 (catastrophique), « plus mauvaise campagne depuis 20 ans », peut-être flop commercial. Après hésitation devant le risque de perte de visibilité, l’avantage du retrait de Bordeaux Primeurs peut l’emporter : en être absent en 2013 peut pour un vin être un bon moyen de ne pas voir baisser son niveau de prix sur ceux de 2012 (de 20 à 40% attendus !), niveau qui restera donc la référence (sans baisse) aux primeurs 2014. On s’interroge.

Un certain nombre de châteaux du Médoc tels Malescasse ou La Lagune ne feront pas de 1er vin 2013 et vont vendre en vrac au négoce, persuadés de la qualité de leur 2nd vin. Quant aux mogols Lafite ou Mouton, on ne les verra pas aux Primeurs. À Pomerol Gombaude-Guillot, Le Pin et Vieux Château Certan n’iront pas non plus et ne sortiront que de très petits volumes.

Fragilisée depuis deux ans que l’emblématique Latour n’y va plus, la campagne Bordeaux Primeurs risque cette année d’être un peu rock ‘n’ roll. Robert Parker attendra prudemment deux mois pour les tester, lit-on. Ça tire à hue et à dia, le propriétaire du Domaine de Chevalier et actuel président de l’Union des Grands Crus, Olivier Bernard, joue son pleinement rôle en sifflant la fin de récré : « 2013 ne sera ni meilleur ni moins bon que les deux millésimes précédents » oubliant de dire qu’ils étaient médiocres (en primeurs) et tonitruant que « ceux qui ne sauront pas faire un grand vin en 2013 ne sont pas des Grands Crus. » Peut-être pas le meilleur moyen de redonner à Bordeaux une image un peu plus sympa, chacun son truc, le Bordeaux bashing risque de durer.

ŒNO TEAM groupe trois œnologues, Julien Belle, Thomas Duclos et Stéphane Toutoundji. Les vignobles dont ils s’occupent son situés pour la plupart à Saint-Emilion, autour et au sud — Fronsac, Côtes de Castillon, Cadillac. Parlons donc de quelques vins qu’ils ont réussis antérieurement au malheureux 2013.

Château Milens — St-Émilion Grand Cru, 90% merlot et 10 % cabernet franc servis carafés, un 2010 encore bougon, et un 2008 allègre et franc, tous deux traversés par une caractéristique du style de ce château : un rayon de fraîcheur qui épanouit le vin, rendu aussitôt aimable. On les trouve notamment au Verger de la Madeleine à Paris 8ème, entre 30 et 50 €.
Oenologue : Thomas Duclos. Du parcellaire de chez parcellaire.

Château Haut-Mongeat 2011 — AOC Graves de Vayres, bordeaux supérieur bio 100 % merlot, Isabelle, du prénom de sa sympathique viticultrice Isabelle Bouchon, ça ne s’invente pas, rond, nourrissant, compagnon, au prix de 9,30 €.
Oenologue : Thomas Duclos. Tient sa promesse et de Bordeaux et de Supérieur.

Château Haut Sarpe 2011 — Saint-Émilion Grand Cru Classé,  70% M , 30% CF, pour moi la quintessence du St-Émilion élégant, posé, aromatique, digeste, respectable et durable, à 29 € chez les cavistes. Il était précédé du
Château Le Castelot 2012 —  Saint-Émilion Grand Cru, 70% M, 30% CF, son frère cadet avec les mêmes qualités, provenant de vignes un peu plus jeunes, à 21 €.
Oenologue : Stéphane Toutoundji. La classe.

Château de Cérons (ci-dessous, magnifique Chartreuse fin XVIIème-début XVIIIème)

— Graves blanc 2012 — 50% sauvignon, 45% sémillon, 5% sauvignon gris. Réussite surprenante de douceur, de charme et de légèreté procurées notamment par la touche de sauvignon gris — l’un des mes cépages « modestes » préférés en blanc, dont on dit qu’il est revêche à cultiver et avare en grains : pas besoin d’être abondant pour être élégant. Le profil de ce graves se situe entre le moelleux Sauternes et le sec de sauvignon pur, qu’on trouve désormais au catalogue des princes sauternais, Rieussec ou Rayne Vigneau par exemple, pour cause de mévente du vrai et grand Sauternes. Son côté sensuel et câlin qui fait parfois défaut aux Graves style Dubourdieu est irremplaçable. Je mettrais **** à ce gentile qui vaut 12 € bon prix.
— Graves rouge 2012 — 50% CS, 50% M. On l’aime sans avoir à l’attendre, c’est lui qui nous mire espérant notre bouche, souriant et tranquille, équilibré, Julien Belle, oui équilibré ! On le chérit ce rouge, le meilleur de la matinée, accompagné avec allant et simplicité par Caroline Perromat (ci-dessous l’histoire de la reprise du château). 12 €.
— Cérons AOC 2008 — 80% sémillon, les 20% restants en sauvignon et muscadelle. Un liquoreux plus léger en sucre que les voisins Sauternes et Barsac, mais tout aussi capiteux. Sa fluidité est aussi insaisissable qu’une silhouette poursuivie en rêve, une caresse au palais, fuyante comme à regret. 22 €.
Oenologue : Julien Belle. Bravo monsieur !

Une belle histoire qui (re)commence.

En 2012, à la succession entre les huit enfants Perromat, Caroline et Xavier (ci-contre) ont pris l’initiative de racheter seuls le Château de Cérons à chacun des frères et sœurs héritiers. Après 25 ans de mariage et plus de 40 ans de travail cumulés — Caroline au château Haut-Bailly, Xavier aux domaines Perromat —, ils sont repartis à zéro avec à restaurer l’une des plus belles chartreuses du bordelais, à restructurer un vignoble morcelé sur une trentaine d’hectares, à rénover un cuvier béton sur deux niveaux et divers chais, et à mettre en place une installation d’œnotourisme.
Et avec une idée maîtresse, celle de perpétuer la tradition du moelleux cérons tout en rassemblant sous la marque Château de Cérons une grande partie des blancs secs et des rouges de leur Château de Mayne voisin, produits en AOC Graves alors que le moelleux l’est, sur le même terroir, en AOC Cérons.

Bon courage à l’un et à l’autre et bonne chance, vous avez besoin des deux !